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SCHWARBER (SWARBER)

Famille strasbourgeoise apparue avec Heinrich Schwarber, bourgeois de Strasbourg, qui possède des terres dans quatre villages du Kochersberg en 1260 (Archives départementales du Bas-Rhin, G 5655 f° B82v). En 1272, les frères Heinz (le même ? et her Ortwin Schwarber achètent aux Lichtenberg (avec lesquels ils ont d’autres relations au XIIIe s. : LU, index) 232 arpents à Reitwiller pour 250 marcs d’argent (Archives départementales du Bas-Rhin, G 5655 f° C15v-16v). Les Schwarber resteront jusqu’au bout de grands propriétaires fonciers, principalement, mais pas uniquement dans le Kochersberg. Ce sont aussi des hommes d’argent : sept d’entre eux sont membres de l’association strasbourgeoise des monnayeurs (Hausgenossen) en 1266 (Urkundenbuch der Stadt Strassburg, I 488). Mais leurs activités dans ce domaine — change et banque probablement, commerce peut-être — n’apparaissent pratiquement pas dans les sources. On constate en revanche qu’ils possèdent de nombreux terrains et immeubles à Strasbourg (première mention en 1279: Urkundenbuch der Stadt Strassburg, III n° 120), ainsi que des rentes. Les premiers Schwarber sont désignés comme bourgeois de Strasbourg. À partir de 1272, certains portent le titre de her, normalement réservé aux chevaliers. Depuis 1277, on les trouve au Conseil de la ville, alors monopolisé par les nobles, mais en 1294 encore, Ortwin Schwarber fait partie des cives, distingués des milites (Urkundenbuch der Stadt Strassburg, III n° 312). Ce n’est qu’à partir de 1325 que Heinrich Schwarber est explicitement dit chevalier (Urkundenbuch der Stadt Strassburg, III n° 1093, cf. n° 1144). En 1320, il a épousé la fille de Hug Zorn, en lui assurant un douaire de 300 marcs d’argent, alors qu’elle ne lui apporte que 100 marcs en dot (Archives départementales du Bas-Rhin, G 5429/3, 5655 f° C18v). Les autres mariages connus des Schwarber à cette époque les unissent surtout à des familles de chevaliers (Hunsfeld, Hoyer, Erbe, Ripelin, Wolxheim, Klette von Uttenheim: Urkundenbuch der Stadt Strassburg, III n° 415, 595 [cf. n° 1190], 732, 740, 1093, 1218). Au total, les Schwarber font l’impression d’une famille de second plan (de 1277 à 1307, deux Schwarber siègent en tout quatre fois au Conseil en 30 ans), qui monte brusquement en puissance dans les années 1320 (de 1318 à 1332, six Schwarber y siègent 13 fois en 15 ans, dont Johann, en 1325-1326, et Berthold, en 1329-1330, comme Stettmeister). Toutefois, comme dans ce contexte le lignage compte moins que le clan familial, la question qui reste à étudier est de savoir à quel clan les Schwarber se sont agrégés — et comment ils en ont pris la tête. En effet, la fin du pouvoir exclusif des nobles en 1332, loin d’arrêter l’ascension des Schwarber, fait d’eux pour 16 ans la famille la plus puissante de Strasbourg. De 1333 à 1347, un Schwarber est en permanence l’un des deux Stettmeister: Rulman jusqu’à sa mort (2 juin 1334), puis son frère Berthold, chevalier. De 1332 à 1349, les Schwarber occupent 33 sièges au Conseil (contre 19 aux Müllenheim, p. ex. ), soit deux par an en moyenne. Bien plus, en 1346, Peter Schwarber (au Conseil en 1335-1336 et 1340-1341) devient Ammeister, du vivant de son frère Berthold, Stettmeister jusqu’à sa mort (29 juin 1347). Depuis 1333, les deux fonctions sont viagères, mais les Stettmeister sont nobles et l’Ammeister patricien bourgeois. Il est donc paradoxal que la même famille cumule les deux postes. Cela tient peut-être à l’ambiguïté traditionnelle du statut des Schwarber: au XIVe s. encore, bon nombre d’entre eux sont dits tantôt bourgeois, tantôt écuyer. Mais le soupçon d’aspirer à la tyrannie, si fréquent dans les républiques urbaines médiévales, ne leur a pas été épargné. Si Berthold, dont Königshoven (p. 780) écrit qu’il a bien mérité de la ville, y a échappé, il s’est porté d’autant plus vivement sur Peter, celui par qui le scandale du cumul est arrivé. Selon Closener, Peter aurait nourri les suspicions en contraignant de nombreux artisans à lui prêter serment en secret et en tenant des réunions clandestines avec les représentants des corporations (commerçantes, selon Alioth, p. 287) pour renverser les décisions du Conseil. De plus, il passait pour hautain, et n’était en tout cas pas diplomate. C’est donc un homme impopulaire qui affronte l’hystérie anti-juive qui, réveillée par la Peste Noire, gagne Strasbourg en février 1349 — bien avant la peste elle-même. La foule, voulant massacrer les juifs, comme dans d’autres villes, se soulève contre ceux qui s’y opposent: les deux Stettmeister et surtout l’Ammeister Peter Schwarber. Celui-ci maintient que la ville, ayant promis sa protection aux juifs et perçu leur Schirmgeld, doit respecter ses engagements. Devant l’émeute, les Stettmeister démissionnent et accompagnent (ou entraînent ? la foule chez l’Ammeister, qui, après avoir vainement cherché à argumenter, se démet et s’enfuit, échappant au mauvais parti qu’on voulait lui faire. Un nouveau Conseil est nommé, avec désormais un Ammeister issu des corporations et quatre Stettmeister, tous élus pour un an. Les juifs sont brûlés; Peter Schwarber est banni, ses biens en partie confisqués (Königshoven, p. 763, donne le chiffre de 1 700 livres) et partagés entre les membres du nouveau Conseil; seuls quelques-uns ont la décence de ne pas les garder pour eux (Closener p. 126-130 ; Urkundenbuch der Stadt Strassburg, V n° 213). Les deux Stettmeister opportunistes sont épargnés, Peter Schwarber seul sert de bouc émissaire. Bien que Peter soit de loin le mieux connu des Schwarber, sa personnalité nous échappe en grande partie. Si les critiques rapportées par Closener sont fondées (mais il n’est pas exclu qu’elles aient été répandues après sa condamnation, et pour la justifier), ce n’était pas un homme bien sympathique. Par ailleurs, les motifs réels de sa défense des juifs ne sont pas connus. Mais à un moment où une grande partie des Strasbourgeois et de la classe politique se sont déshonorés, il a préservé sa dignité, et payé pour cela un prix élevé. L. Spach © a fait de lui le héros d’une tragédie, et une rue de Strasbourg lui a été dédiée en 1881 (aujourd’hui partie Nord du quai Müllenheim).

La crise de 1349 n’a pas marqué la fin politique des Schwarber. De 1355 à 1417, ils occupent encore 30 ou 32 sièges au Conseil (Eberlin en 1362 et Peter en 1366 ont été nommés, mais n’ont pas siégé: indice d’un malaise?, mais seulement deux comme Stettmeister (Johann en 1356 et Rulmann en 1399): ils ne sont plus qu’une famille patricienne parmi d’autres. En même temps, alors qu’ils étaient nombreux sur toutes les listes de Hausgenossen jusqu’en 1356, ils ne sont plus que quatre sur celle de 1376 et manquent tout à fait sur les suivantes (Alioth p. 535 n° 103), bien que Hans et Reimbold Schwarber jouent encore un rôle dans le commerce de l’argent à la fin du siècle (Urkundenbuch der Stadt Strassburg, VI n° 790, 1316). De façon générale, il ne semble pas que les Schwarber se détournent de Strasbourg, comme beaucoup d’autres familles de la noblesse urbaine à la même époque, même si Petermann Schwarber réside à Geispolsheim en 1356 (Urkb. Str., V n° 406), et si Berthold Schwarber est appelé von Honowe en 1414 (Archives municipales de Strasbourg, Œuvre Notre-Dame 43, f° 19r). Il est vrai qu’ils tiennent des fiefs de plus en plus de seigneurs différents, dont les Werd (1334), l’Empire et l’évêque de Strasbourg (1344), les Lichtenberg (1348), les Wildgrafen (avant 1390), les Ochsenstein (1396), le duc de Lorraine (pour Thanvillé, 1396? et les Wangen. Mais c’est une évolution générale, et leurs attaches restent en grande majorité strasbourgeoises. On le constate par exemple à leurs mariages, qui continuent à les unir à des familles de la noblesse urbaine (Zorn, Kageneck, Broger, Duntzenheim, Hüffel, Knobloch, Schiltigheim, Loeselin) et du patriciat bourgeois (Winterthur, Twinger, Merswin, Büchsner, Molsheim, Bock/Boecklin). Les alliances des Schwarber avec la noblesse rurale sont plus rares (Girbaden, Wepfermann, Küttolsheim, Waltenheim, Uttenheim). Dans l’Église, c’est aussi de préférence à Strasbourg que les Schwarber casent leurs enfants (par exemple plusieurs prieures de Sainte-Agnès: 1343, 1345-1349, 1370-1377, 1390-1399; Peter, prévôt de Saint-Arbogast, 1383-1416), — suivant là aussi une tendance de l’aristocratie strasbourgeoise — ils finissent par prendre pied dans des maisons extérieures (par exemple Johann, économe (1347), puis camérier (1348-1364) et trésorier (1359-1361) de Neuwiller; Rulmann, chanoine (1374), puis trésorier de Rhinau (1393-1400); Wetzel, prieur d’Obersteigen en 1381; Gertrud, supérieure de Saint-Jean-lès-Saverne en 1413). Par ailleurs, toujours à Strasbourg, ils sont liés aux Dominicains, chez lesquels ils fondent la majorité de leurs anniversaires, au chapitre Saint-Pierre-le-Jeune, et, dans la deuxième moitié du XIVe s., à I’Elendenherberge. Peter Schwarber est le fondateur de la chapelle zum Elenden Kreuz en ou avant 1343 (Urkundenbuch der Stadt Strassburg, VII n° 361). À partir de 1399, les Schwarber sont en voie d’extinction (ils transmettent leurs fiefs à des parents par alliance: LU II 1781; Archives départementales du Haut-Rhin, 9G fiefs 3/8-10; Regesten d. Pfatzgrafen, II 3183; Ch. Schmidt, Hist. Saint-Thomas, 1860, p. 422 n° 102; Archives départementales Meurthe-et-Moselle, B 384 f° 291). Johann Schwarber, cité en 1430, serait le dernier du nom (Kindler). Un autre Johann Schwarber, dominicain à Strasbourg, suscite des litiges jusqu’en 1451 (Inv. Archives municipales Haguenau ff 145; Regesten. d. Markgrafen, III 7221), mais son appartenance au lignage reste à vérifier.

Die Chroniken der deutschen Städte, 8-9 (Closener & Königshofen, éd. C. Hegel), 1871, index; Urkundenbuch der Stadt Strassburg, (essentiel); Kindler von Knobloch, Das goldene Buch von Strassburg, 1886, p. 337-339; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 745-746 (sans valeur); M. Alioth, Gruppen an der Macht, 2 vol., 1988 (index par B. Metz disponible aux Archives municipales de Strasbourg); Fr. Battenberg, éd., Lichtenberger Urkunden (5 vol. 1994-1996, index au t. 5; cité LU); G. Mentgen, Studien zur Geschichte der Juden im mittelalterlichen Elsass, Hanovre, 1995, p. 370-377; B. Metz, Régestes de la famille Schwarber, dactyl., 1999 (Archives municipales de Strasbourg, brochures).

Bernhard Metz (1999)