Industriel. Rollé commença sa carrière au début du XIXe siècle comme employé de la maison de commerce Ferdinand Kolb & Cie à Strasbourg. Devenu directeur des affaires de la puissante Compagnie des salines et mines de sel de l’Est, il mit à la disposition d’Aloïse Quintenz © les fonds nécessaires à la fabrication en série d’un instrument de pesage que ce dernier avait inventé entre 1820 et 1822 : la bascule décimale à tablier. Devenu propriétaire du brevet d’invention à la mort du mécanicien en 1822, Rollé décida de poursuivre la fabrication dans un petit atelier situé rue des Glacières à Strasbourg. Comme de nombreux chefs d’entreprises de construction mécanique du début du XIXe siècle, il ne possédait pas de connaissances techniques suffisantes et il découvrit bientôt que Quintenz avait légèrement faussé les mécanismes de démultiplication des forces de sa balance, afin de rendre plus difficile toute tentative de contrefaçon. Il fit alors appel au mathématicien Jean-Baptiste Schwilgué ©, créateur d’une petite entreprise d’horlogerie et vérificateur des poids et mesures de l’arrondissement de Sélestat. Ce fut désormais sous sa direction technique que le nouvel atelier de constructions de Strasbourg se développa. Il fournit dès 1826 sept types de balances à leviers combinés échelonnées, ainsi que des ponts à bascules pour la pesée des voitures chargées. Rollé fit bientôt de Schwilgué son associé, par un acte de société passé entre eux, en 1827, pour une durée de dix ans. Leur société eut pour raison sociale « Ateliers de constructions mécaniques de Strasbourg ». La fabrication des balances-bascules, à laquelle s’ajouta, à partir de 1828, celle des pompes à eau et des appareils de levage, crics et grues, fut dirigée par Rollé, tandis que celle des machines à calculer et des appareils de précision (compteurs d’eau) était la spécialité de Schwilgué. L’atelier employait alors 70 mécaniciens, tourneurs, serruriers et forgerons. En 1827, Rollé et Schwilgué créèrent à Paris, au faubourg Saint-Denis, un dépôt et un atelier de fabrication. Les deux associés se tournèrent ensuite vers les marchés extérieurs et, en 1831, établirent en Autriche, à Vienne, une filiale servant de dépôt de vente et fabriquant des produits adaptés à la demande locale, tels que presses mécaniques, meubles ou pompes à incendie. L’association avec l’entreprise viennoise fut constituée pour une durée de quatre années seulement et ne fut pas renouvelée, mais l’entreprise strasbourgeoise conserva jusqu’en 1848 une créance notable sur cet établissement. En 1836, la municipalité de Strasbourg décida de confier à Jean-Baptiste Schwilgué la restauration de l’horloge de la cathédrale. Ce travail considérable absorba dès lors complètement le temps de Schwilgué et contraria la poursuite de sa collaboration avec Rollé, qui cette année-là parvint légalement à son terme en 1837. Or, tandis qu’une crise affecta les industries du textile, les entreprises de constructions mécaniques d’Alsace maintinrent une grande activité. Rollé, dont la firme était en pleine expansion, fit alors appel à de nouveaux actionnaires pour accroître son capital. L’un des nouveaux actionnaires, la maison Renouard de Bussierre ©, avait fait un placement assez malheureux dans la « Fabrique d’acier du Bas-Rhin », un modeste établissement créé à Graffenstaden en 1825 et qui produisait essentiellement depuis 1827 des scies, des limes, des articles de quincaillerie et des balances de comptoir. Il fut décidé de réunir les deux établissements sous la même raison sociale. La première assemblée générale des actionnaires de « l’Établissement de constructions mécaniques de Strasbourg » se tint le 5 avril 1838. Le conseil d’administration fut constitué avec, aux côtés des anciens dirigeants des « Ateliers de Constructions » (Rollé et Jean-Baptiste Schwilgué), les représentants des nouveaux bailleurs de fonds. Le président de ce conseil était Frédéric de Turckheim ©, qui représentait la banque « Turckheim et Cie » et apporta l’assurance d’appuis politiques. Rollé, détenteur de 19 actions de 10 000 F chacune sur un total de 48, resta le principal actionnaire. Le 28 septembre 1838, les actionnaires obtinrent l’autorisation de procéder au transfert des ateliers de Strasbourg à Graffenstaden. Les anciens locaux, à l’instar de la succursale de Paris, furent conservés comme simple dépôt. La société fut transformée en société anonyme le 30 août 1839 et son capital fut porté à 550 000 F. Équipée à grands frais, la nouvelle entreprise produisit massivement dès 1840 des bascules, des balances de comptoir et des balances romaines, des crics, des vérins, des presses mécaniques ainsi, semble-t-il, que des roues hydrauliques en fonte et des machines à vapeur. L’accord du gouvernement n’ayant pas été obtenu pour procéder à une nouvelle augmentation rapide du capital, la société dut s’endetter afin de lancer de nouvelles fabrications. Différents modèles de machines-outils furent produits, notamment des tours à pointe et des tours parallèles. Il s’agit des premiers modèles réalisés pour les fabriques d’armes et les arsenaux de la Marine. La supériorité de l’usine de Graffenstaden s’affirma surtout dans la moyenne et la grosse construction, pour lesquelles ses installations de fonderie trouvèrent leur pleine utilisation. En 1844, l’afflux des commandes des compagnies de chemin de fer conduisit les entrepreneurs à introduire à Graffenstaden la fabrication des roues de wagons. Les années 1845 à 1847 constituèrent un tournant important pour l’entreprise, qui s’orienta vers la construction de matériel ferroviaire. Une ordonnance royale autorisa l’élévation du capital de la société de Graffenstaden de 550 000 à 650 000 francs seulement le 28 novembre 1845. Cette somme ne correspondit pas aux besoins réels de l’entreprise. Afin de rétablir un équilibre dans le bilan, on tenta de compenser l’aggravation de l’endettement par une augmentation proportionnée de la valeur des marchandises en fabrication. Entre 1845 et la première moitié de l’année 1847, furent introduites à Graffenstaden la production des roues, puis celle des essieux, pour tenders, voitures et locomotives. L’usine s’orienta également vers la fabrication des plaques tournantes et celle des wagons, voitures et tenders complets (1846-1847). Elle développa alors sa gamme de machines-outils, dont toute une série fut destinée à l’usinage du matériel ferroviaire, et équipa de nombreux ateliers (manufactures royales de tabac à Lyon et Strasbourg, Monnaie de Strasbourg, et divers ateliers de construction de matériel ferroviaire). Le programme des fabrications s’étendit également à la grosse construction pour chemins de fer : charpentes métalliques, ponts et grues hydrauliques pour débarquer le matériel roulant. La situation économique se dégrada fortement à la fin de l’année 1846. Les ateliers de Graffenstaden n’obtinrent plus de nouvelles commandes, ni même le paiement des machines déjà livrées. Lourdement endettée, la société déposa son bilan au cours de l’été 1847 et fut déclarée en faillite le 3 décembre 1847. Toutefois, le tribunal autorisa Alfred Renouard de Bussierre ©, son principal créancier, à la racheter en cherchant un accord avec les autres créanciers. Un concordat fut homologué le 13 mars 1848. En avril, alors que la crise économique et politique était au plus fort, le banquier garantit le remboursement d’une partie des dettes de la société en acceptant d’être payé le dernier. Cette aliénation de ses privilèges lui permit de différer les remboursements et de reconstituer le capital social, dont il détenait désormais, avec son frère et son fils, la quasi-totalité. Il ne fut plus question de Rollé, qui semble alors s’être retiré après avoir perdu la totalité de son avoir dans l’entreprise qu’il avait fondée.
A. Schwilgué, Notice sur la vie, les travaux et les ouvrages de mon père, Jean-Baptiste Schwilgué, Strasbourg, 1858 ; F. L’Huillier, « L’usine de Graffenstaden près Strasbourg, exemple d’une adaptation et d’une expansion au XIXe siècle », in : Le fer à travers les âges. Hommes et techniques, Nancy, 1956, p. 396-403 ; F. Bernard, La Société alsacienne de constructions mécaniques, 1826-1965, thèse, Strasbourg, 1998.
Michel Hau (1998)