François Élisabeth, baron, poète, savant, homme politique, administrateur (★ Strasbourg, Saint-Louis, 18.1.1755 † Paris 14.5.1827). Fils de Pierre Bernard Ramond, quêteur royal à Neuf-Brisach, et de Rosalie Louise Traut.
I. Débuts littéraires
Études de droit et de médecine à Strasbourg. Initié à la littérature allemande à la Société des Belles-Lettres fondée par Saltzmann ©. Parfaite connaissance de la langue et de la littérature anglaises. En discipline de Rousseau, il courait à travers les Vosges et suivant les modes de l’époque, encouragé par les travaux du célèbre historien Schoepflin, il s’intéressa aux vestiges du Moyen Âge. Adepte de ce premier romantisme, imbu de roman noir et de mélancolie. Entre 1773 et 1775, il composa des Élégies (en partie reproduites dans le Journal des dames, 1778). Il publia un ouvrage composite fort curieux, Les dernières aventures du jeune d’Olban, un drame en prose mâtiné de vers, trois actes inspirés eux aussi par la mode qui souhaitait, à la suite des « Scènes historiques » imaginées dès 1747 par le président Hénault et de la vogue croissante des drames de Shakespeare, rénover la tragédie classique en mettant sur le théâtre des événements tirés de l’histoire nationale. Un autre drame, La guerre d’Alsace pendant le grand schisme d’Occident (Bâle, 1789) fut le dernier essai de Ramond au théâtre. Il semble n’avoir eu aucun écho en France, — il se vanta pourtant d’avoir eu un certain succès sur les scènes germaniques — alors que ses élégies recueillaient les suffrages de juges réputés tels que Dorat, La Harpe, Grimm, et l’auteur lui-même, se lia avec toute la bonne société de la capitale au cours d’un séjour à Paris.
II. Ramond occultiste
Après des succès à Paris et à Versailles où il fréquenta les sociétés les plus brillantes de l’époque, les d’Anville, La Rochefoucald, le « vénérable Malesherbes », Ramond rentra à Strasbourg (1781) où il devint vite un favori du cardinal prince de Rohan ©, évêque de Strasbourg, dont il ne fut pas simplement le « secrétaire », mais le « conseiller intime ». Lors de l’affaire du collier en 1785 Ramond témoigna un dévouement indéfectible au cardinal. Pendant le séjour de Cagliostro © à Strasbourg, le cardinal en devint disciple et institua Ramond « garçon de laboratoire ». Il semble que Ramond, s’il ne crut jamais aux miracles de Cagliostro lui attribuait des pouvoirs suprahumains. Dans l’éloge funèbre de Ramond qu’il prononça, Cuvier note que Ramond n’aimait pas qu’on lui parlât de Cagliostro et qu’il s’était dépris de ses illusions. Des faits pourtant attestent le dévouement que Ramond eut toujours pour le personnage. Il collabora avec lui à Saverne dans la résidence de l’évêque, il l’accompagna dans ses voyages « à Lyon, à Bâle, à Paris »; il devint « dépositaire de toutes les recettes » de Cagliostro: il estimait que « nous avons assez de religions pour le salut de nos âmes », mais il persista à croire que ce personnage était doué d’inexplicables pouvoirs, il en calligraphia et orna de figures un manuscrit étrange, une Clavicule de Salomon, conservé au Musée pyrénéen de Lourdes (partiellement publié dans le Bulletin de la Faculté des Lettres de Strasbourg, décembre 1953).
III. L’inventeur de la montagne
En 1777, Ramond fit un long voyage à travers la Suisse, observant les paysages qu’il excellait à décrire mais aussi les mœurs, les traditions politiques des cantons, les personnages célèbres qu’il visita. À Berne, il rencontra Haller, à Zürich le célèbre Gessner, à Ferney Voltaire. Il s’enthousiasma pour la physiognomonie de Lavater. Il acquit ainsi une connaissance approfondie de la Suisse. Aussi, lorsqu’en 1781 parurent à Londres les célèbres Lettres sur la Suisse de William Coxe, Ramond fut-il en mesure d’en donner une traduction. Il l’accompagna d’observations. Cet ouvrage, très remarqué, assura sa réputation dans le monde des lettres, à Londres comme à Paris. Après un premier voyage en 1787 d’exploration dans les Pyrénées, il publia en 1789 des Observations sur les Alpes reprenant et développant bon nombre des notes jadis ajoutées à sa traduction des Lettres sur la Suisse de William Coxe. Il devint le grand peintre de la haute montagne et fut, en effet, l’initiateur de ces explorations hardies. En 1801, il fit le premier l’ascension du Mont Perdu qui lui inspira des pages admirables (Voyages au Mont Perdu). L’altitude lui paraissait de nature à développer chez l’homme les sentiments les plus nobles de l’indépendance et de la liberté en offrant à ses yeux éblouis d’immenses paysages : « Partout, écrit-il, le crépuscule a quelque chose de touchant ou de grave ; dans les hautes montagnes il a quelque chose de solennel ». Ce spécialiste remarqué des sciences naturelles et de géographie fut élu le 5 ventôse an X (24 février 1802) membre de l’Institut national dans la section des Sciences physiques et naturelles.
IV. L’homme politique et l’administrateur
Bon connaisseur de la société parisienne, familier de Malersherbes, esprit sérieux et méthodique, Ramond a compris dès 1787 la menace d’une révolution profonde. Député de Paris, section de Saint-Philippe du Roule à l’Assemblée législative (1791-1792), il travailla avec La Fayette à l’instauration d’une monarchie constitutionnelle et s’opposa aux velléités belliqueuses du parti girondin, ce qui lui valut un peu plus tard d’être suspect à la Convention et exilé en semi captivité dans le midi de la France. En novembre 1794, Ramond fut libéré des suspicions politiques qui le retenaient de force à Tarbes et fut nommé professeur de sciences naturelles à l’École centrale des Hautes-Pyrénées, dès la création de ces établissements d’instruction publique. En 1800, il fut nommé député de Tarbes au Corps législatif. En 1806, Napoléon le nomma préfet du Puy-de-Dôme, où il exerça une administration bénéfique en préconisant l’intérêt thermal des eaux du Mont-Dore et de la Bourboule. Crée baron d’Empire en 1810. Démissionnaire de sa préfecture en 1813, le Puy-de-Dôme l’élut député en 1815 et le gouvernement de la Restauration le nomma au Conseil d’État où il fut maître des requêtes et, en 1818, conseiller d’État en service extraordinaire.
Outre les œuvres déjà cités, on peut mentionner: Lettres inédites, Toulouse, 1898; Lettre inédite (19.2.1827, à Saint-Amans) dans Journal des savants, mars 1905, p. 121-129. Les spécialistes de l’histoire des sciences apprendront en outre que Ramond est également l’auteur de plusieurs communications scientifiques dont le texte se trouve dans les recueils successifs des Mémoires de l’Institut, puis de l’Académie des sciences.
Arnault, Biogr. nouv. des cont., Paris, 1824, XVII, p. 232; Stoeber, Alsatia, 1853, p. 31 ; Biographies Alsaciennes, 2e série, Colmar, 1885- 1886; Strassb. Zeit, 1871 et 1872; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 484-486; J. Reboul, Un grand précurseur du romantisme : Ramond de Carbonnières, Nice, 1910 ; H. Beraldi, Le passé du pyrénéen Ramond de Carbonnières, 2 vol., Paris, 1919-1920 ; A. Viatte, Les sources occultes du romantisme, 2 vol., Paris, 1928 ; Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. X (articles de 1854) ; J. Gaulmier, « À propos du bicentenaire de Ramond de Carbonnières », Bulletin de la Faculté des Lettres de Strasbourg, décembre 1955.
Jean Gaulmier (1997)