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NEHER André

Philosophe, théologien, écrivain, (I) (★ Obernai 22.10.1914 d. Jérusalem 23.10.1988). Fils d’Albert Abraham Neher ©. ∞ à Paris 24.12.1947 Renée Rina Bernheim ©. Neher fit des études au collège d’Obernai, au lycée Fustel de Coulanges et à la faculté des Lettres de Strasbourg. Il suivit parallèlement l’enseignement des rabbins Armand Bloch, Julien Weil, Jérôme Lévy © et Joseph Bloch ©, parachevé à la yeshiva, à l’école supérieure juive de Montreux. Il écrivit des poèmes, des contes philosophiques, en collaboration avec son frère, dans une revue estudiantine, l’H 2 S. Son amour de la patrie éclate dans La Marseillaise, publié en juillet 1939. Il s’enthousiasmait pour la musique et suivait des cours d’orchestration. Il passa un certificat d’aptitude de langues vivantes, renonçant à l’agrégation pour ne pas violer le shabbat, et se retrouva, en 1936, professeur d’allemand au collège de Sarrebourg. Vint la guerre, l’exil à Brive-la-Gaillarde où il enseigna jusqu’en décembre 1940, lorsqu’en exécution de la réglementation du gouvernement de Vichy portant sur le statut des juifs, il fut révoqué. Cette révocation le marqua profondément. Il se réfugia avec sa famille à Lanteuil, Corrèze. Repliée sur elle-même, la famille Neher se livra à une activité créatrice intense, autour de textes de réflexion et de commentaires bibliques. De ce creuset sortit plus tard Transcendance et immanence, qui répondait aux questions posées par une jeunesse désorientée par la Shoa. Après la Libération, il reprit l’enseignement de l’allemand au lycée Kléber de Strasbourg, mais c’est une thèse de doctorat portant sur un sujet biblique, Amos, contribution à l’étude du prophétisme qu’il soutint en 1947. On créa à son intention, à l’Université de Strasbourg, dès 1955, une maîtrise de conférence, transformée, en 1957, en chaire de littérature juive ancienne et moderne, et, en 1959, les plus éminents rabbins d’Alsace lui conférèrent le titre de rabbin, sans qu’il ait eu à passer par la filière habituelle. Dès 1960, il obtint pour Strasbourg la création de la licence d’hébreu, complétée en 1962 par le diplôme d’études supérieures d’hébreu, que suivit plus tard l’habilitation aux doctorats. Son combat essentiel sur le plan pédagogique fut d’obtenir l’insertion de l’hébreu parmi les langues vivantes dans le cadre de l’enseignement universitaire français qui ne connaissait jusque-là qu’un enseignement de l’hébreu ancien.
Ce souci pour l’hébreu vivant, il le concrétisa dans son volume De l’hébreu au Français. Après, la publication de sa thèse en 1950, parurent l’Essence du prophétisme (1955), Moïse et la vocation juive (1956), Histoire biblique du peuple d’Israël (1962) écrite en collaboration avec Renée Neher. À travers tous ces livres un unique dessein: d’un même geste restituer le peuple juif à la Bible et la Bible à Israël en visant, sans ignorer l’exégèse historique critique, à déboucher sur une lecture théologique du texte. S’il fallait évoquer le concept-clé autour duquel se love toute sa pensée d’alors, ce serait celui de l’Alliance comme projet divin qui fait entrer les Hébreux, et à travers eux toute l’humanité, dans une histoire dialoguée, dans un face à face incessant. Ces livres forment la période biblique de l’œuvre néherienne. Le théologien qu’il est devenu essaya de trouver une réponse à Auschwitz, à l’extermination, au silence de Dieu. Deux beaux livres scandent ce dialogue avec la modernité, L’existence juive (1962) et surtout L’exil de la parole (1970). L’année 1960 marqua un tournant dans son œuvre, avec sa conférence inaugurale du Centre universitaire d’études juives de Paris avec Léon Ashkenazi: Le Maharal de Prague entre l’humanisme et la mystique. Neher consacra désormais une grande part de ses travaux à étudier la figure de l’illustre Haut Rabbi Loew de Prague, et à restituer les dimensions hors du commun de cette grande figure de la mystique et de l’humanisme juif dans le contexte de la Renaissance européenne. Quatre livres ont été écrits de sa main autour du Maharal: Le puits de l’exil (1966) qui dévoile le thème de l’Emtsa (La voie médiane) et éclaire les enjeux des débats entre le Rabbi de Prague et Azaria de Rossi et Eliezer Ashkenazi. Avec ce livre, Neher marqua sa proximité toujours plus intense avec la mystique. Son second livre maharalien porte sur David Gans, un disciple du Maharal, historien et astronome en relation avec Kepler, qui vécut de 1541 à 1613. À son propos Neher posa le problème du statut de la science dans l’épistème des juifs de la Renaissance. En 1987, il nous donna Faust et le Maharal de Prague. Dans cette œuvre effleurent comme dans une sarabande tous les motifs qui ne cessèrent de le hanter: le Maharal et son Golem, Goethe et son Faust, Job et la musique, et qui pourrait aussi bien s’instituler «variations sur le destin de la culture européenne».
À Strasbourg, il fut le guide spirituel d’une jeunesse réunie dans le Merkaz ha-Noar, il forma de nombreux élèves futurs cadres communautaires, comme Benno Gross, Théodore Dreyfuss, Bernard Picard, Lucien Lazare, des chrétiens aussi, tels les pasteurs André Lacocque et Bernard Keller. Il milita dans les amitiés judéo-chrétiennes et ses relations amicales avec Mgr Elchinger ©, firent beaucoup pour une meilleure compréhension du judaïsme dans l’épiscopat français, qui accepta dans sa théologie non seulement le fait juif, mais aussi le lien religieux entre le peuple juif et la Terre d’Israël, ce que la hiérarchie vaticane se refusa longtemps à accepter. Au moment du drame algérien, Neher et sa femme se dépensèrent pour accueillir la masse des réfugiés juifs d’Algérie (1962). On lui confia des postes de responsabilité: il fut membre du Comité central de l’alliance israélite universelle (1962), président de la Section française du congrès juif mondial (1965). Il fut l’âme des colloques annuels des intellectuels juifs de langue française. Dès1967, il avait pris la décision du retour en TerreSainte, face au défi provoqué par la guerre des Six jours, douloureusement affecté par l’attitude des Nations Unies et de De Gaulle ©. Il émigra à Jérusalem. En Israël, il demeura un trait d’union vivant entre la France et Israël.
Avec Richard Neher, «Conversation sur Strasbourg», H 2 S, n°3,février 1938, p.2; «La précaution utile ou force d’âme d’un père de famille vénitien», ibidem, n°4, mai 1938, p.18; «La Marseillaise», ibidem, juillet 1939, p.5; «Le cycle du chevalier à la bicyclette» (sous le pseudonyme Don Blazius), ibidem, juillet 1939, p.13; Transcendance et immanence (avec Richard Neher), Lyon, 1946 (repris dans L’existence juive); «Principes et applications de la politique de Louis XIV à l’égard des Juifs d’Alsace», Deux siècles d’Alsace française, Strasbourg, 1948, p.161-172; Amos, contribution à l’étude du prophétisme, 1950 (réed. 1980); Notes sur Qohélet. L’Ecclésiaste, 1951; «L’émancipation des Juifs en Suisse et les Israélites d’Alsace», L’Alsace et la Suisse à travers les siècles, Strasbourg, 1952, p.385-395; «La bourgeoisie juive d’Alsace», La bourgeoisie alsacienne, étude d’histoire sociale, Strasbourg, 1954, p.435-442; «L’esprit du judaïsme alsacien», Revue du F.S.J.U. n°9, octobre 1954, p.13-14; L’essence du prophétisme, PUF, 1955 (nouv. éd., 1983); Moïse et la vocation juive, 1956 (10e réed. 1984); Jérémie, 1960 (nouv. éd., 1980); L’existence juive, solitude et affrontements, 1962 (rééd. 1985); Histoire biblique du peuple d’Israël (avec Renée Neher), 1962 (rééd. 1974, 1982,1988); «La littérature juive en Alsace XIXe-XXe siècle», Les Lettres en Alsace, Strasbourg, 1962, p.439-443; «L’appréciation de la Révolution française et du Premier Empire dans l’œuvre de Dubnov», Simon Dubnov, l’homme et son œuvre, Paris, 1963, p.219-224; La conscience juive, Actes des colloques d’intellectuels juifs de langue française, éd. avec E.-A. Lévy-Valensi et J. Halperin, 4 vol., Paris, 1963-1972; Le puits de l’exil, la théologie dialectique du Maharal de Prague, 1966; «The Jewish community in France —in light of the New Political Policy», Study Circle on Diapora Jewry, 2e série-n°1, Jérusalem, 1968-1969; De l’hébreu au français, Paris, 1969; Étincelles (avec A. Epstein et E. Sebban), Paris,1970; L’exil de la parole. Du silence biblique au silence d’Auschwitz, 1970 (rééd. 1980, 1986); Dans tes portes, Jérusalem, 1972; David Gans, disciple du Maharal de Prague, assistant de Tycho Brahe et de Jean Kepler, Paris, 1974; Le judaïsme, hier-demain (avec R. Aron et V. Malka), Buchet-Chastel, 1977; Clefs pour le judaïsme, 1977 (réédition sous le titre d’Identité juive, 1989); Oubekhol Zot (Et pourtant), Jérusalem, 1977; Le dur bonheur d’être juif (V. Malka interroge A. Neher), 1978; Ils ont refait leur âme, 1979; Jérusalem, vécu juif et message, 1984; Faust et le Maharal de Prague, le mythe et le réel, Paris, 1987; Regards sur une tradition, 1989; L’identité juive, Paris, 1989 (réédition de Clefs pour le judaïsme sous un nouveau titre et dans une nouvelle présentation; réed.en coll. poche, 1994); Le puits de l’exil, tradition et modernité: la pensée du Maharal de Prague, Paris, 1991 (édition revue et augmentée par rapport à l’édition de 1966); Un maillon dans la chaîne, 1995 (choix de textes d’A. Neher présenté par Renée Neher et Paul Zylbermann).
Encyclopedia Ha-lvrit, XXIV; Encyclopedia Judaïca Xll-YearBook, 1977-1978: Five Israeli thinkers-Decenniai Book, 1973-1982; Encyclopedia Universalis-Thesaurus; Who’s who in France, 1973-1974, p.1222; Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, L’Alsace, sous la dir. de B. Vogler, Paris, 1987, p.323.
Robert Weyl et Roland Goetschel (1996)