Evêque de Strasbourg de 1827 à 1842, (c) (★ Morlaix, Finistère, 22.10.1754 † Marlenheim 27.8.1842).
Issu d’une famille noble, il garda sa vie durant les traces de son ascendance aristocratique. En 1775, il entra au Séminaire de St- Magloire à Paris et y resta jusqu’en 1781, où il présida comme maître de conférences les exercices théologiques des séminaristes. En 1784, il devint docteur de l’université et fut ordonné prêtre; le brillant ecclésiastique fut signalé à Mgr de La Luzerne, qui le choisit la même année comme vicaire général du diocèse de Langres. Pendant les cinq années qu’il passa dans le diocèse, il prit une part active aux travaux d’apologiste de son évêque et fut influencé par son gallicanisme. La Révolution l’obligea à s’exiler : il fut d’abord l’hôte de Lord Carlisle en Angleterre, puis le précepteur du prince Esterhazy en Autriche ; les victoires de Napoléon le chassèrent jusqu’en Russie. Ce ne fut qu’en 1816, après 27 ans d’exil et âgé de 62 ans, qu’il revint en France. Installé à Paris, il acheva la Discussion amicale sur l’établissement et la doctrine de l’Eglise anglicane et en général sur la Réformation, qui parut en 1817 et fut rééditée en 1824 et 1829 ; ce livre voulait convaincre les protestants et les anglicans de retourner au sein de l’Eglise catholique. Lardeur à la controverse explique sa venue à Strasbourg, située dans un diocèse mixte «où les impies abondent», en 1818 pendant deux mois, et en 1822 «pour réfuter les objections protestantes contre l’Eglise catholique». En 1823, il fut choisi pour l’Evêché d’Aire dans le département des Landes, mais ce choix ne lui convenait pas; il s’y rendit tout de même et y affirma ses positions gallicanes, soutint Frayssinous et la création d’une Ecole des hautes études à Paris. Par ordonnance royale du 13.12.1826, il fut nommé évêque de Strasbourg en remplacement de Tharin ©. Son épiscopat se déroula sous le signe d’une quintuple opposition : l’évêque fut favorable à la Restauration et se trouva dès lors confronté au problème d’un changement de régime avec l’instauration de la Monarchie de Juillet en 1830 ; il fut un controversiste appelé à diriger un diocèse mixte, où les protestants constituaient un quart de la population totale et étaient majoritaires dans le nord de l’Alsace ; évêque gallican, il dirigea un diocèse très ultramontain ; évêque âgé de 73 ans lorsqu’il vint à Strasbourg, il dut faire face à un diocèse populeux qui nécessitait un énorme travail administratif; enfin évêque «français», il ignorait l’allemand, langue usuelle du diocèse. Cette combinaison d’antagonismes explique la richesse en événements de son épiscopat à Strasbourg. Parti de Paris le 8.6.1827, Mgr Le P. de T. arriva à Strasbourg le 14 juin, s’entoura d’ecclésiastiques de valeur comme Maimbourg © et Liebermann ©, s’en prit aux quelques prêtres alsaciens qui avaient refusé de se rétracter, fit l’apologie du ministère Martignac et célébra l’union du trône et de l’autel, se brouilla enfin avec Lamennais avec lequel il était pourtant lié en 1818. Après la chute de la Restauration, il adopta une attitude de réserve signifiant ni alliance, ni hostilité, ne parla plus de politique du moins officiellement et se consacra à quelques domaines qui lui étaient chers. Depuis 1827, il avait fondé à Molsheim une école des Hautes études théologiques qu’il avait baptisée « Petite Sorbonne », et qui fut transférée à Marlenheim en 1843 ; elle comprenait une dizaine de jeunes prêtres choisis par l’évêque qui complétaient de manière plus approfondie leurs études. Bien que certains (Lamennais, Specht ©, Ratisbonne ©) aient accusé cette école d’être un centre gallican, il faut plutôt voir dans cette institution la volonté de Le P. de T. de former son clergé ; mais, paradoxalement, de 1830 à 1840, le nombre d’entrées au Grand Séminaire ne cessa de décroître, ce qui limita les résultats de l’épiscopat. L’affaire Bautain allait aussi agiter le diocèse ; Bautain ©, docteur en philosophie, faisant des cours à grand succès, se convertit sous l’influence de Louise Humann © et demanda à devenir prêtre. L’évêque, flatté de pouvoir recruter un tel talent – d’ailleurs suivi par quelques autres personnalités brillantes comme Gratry, Bonnechose, de Régny, Goschler ©… – accéléra sa formation et favorisa son projet de création d’un petit séminaire. L’événement, considérable pour l’époque – certains l’ont nommé renaissance du catholicisme alsacien -, frustra cependant le clergé local. Mais l’évêque s’obstina, jusqu’au moment où Bautain publia en 1833 un ouvrage où il développait une doctrine fidéiste teintée de rationalisme que combattit Le P. de T. Bautain fut renvoyé du petit séminaire et dès lors le conflit entre lui et l’évêque s’envenima. Cependant Bautain avait des appuis et sa doctrine ne fut pas condamnée par Rome ; mais il quitta le diocèse en 1841. L’affaire Bautain ne doit cependant pas masquer l’activité pastorale de l’évêque qui malgré son âge effectua de nombreuses tournées de confirmation et des visites pastorales. Néanmoins, plusieurs affaires délicates ne furent pas dénouées par l’Evêché, qui laissait souvent «pourrir» des situations par négligence, ainsi à Pfaffenhoffen. L’attitude de l’évêque à l’égard des congrégations religieuses fut fluctuante : au début de son épiscopat jusqu’en 1830, il s’en tenait aux recommandations gouvernementales qui ne favorisaient pas l’expansion et le développement des congrégations ; Le P. de T. pourfendit même les Jésuites et dans le clergé, il ne fut pas considéré comme un ami des religieux. Après 1830, il adopta une attitude de stricte neutralité, n’encourageant pas les initiatives religieuses, mais défendant pourtant les Rédemptoristes du Bischenberg particulièrement en 1831, ou ne contrariant pas la fondation religieuse créée par les soeurs Glaubitz © à Strasbourg en 1833. A l’égard du protestantisme, l’évêque enregistra un échec : non seule- ment il ne réussit pas à convaincre les «frères séparés» de la justesse de ses idées, mais en plus il permit, malgré l’opposition de la loi, la création de deux nouvelles églises mixtes à Niederseebach et à Forstfeld, alors que celles-ci furent tout au long de son épiscopat des sources de querelles sans fin. L’âge aidant, l’administration épiscopale échappa progressivement à l’évêque qui songea à un coadjuteur. Dès 1833, le nom de Maimbourg © fut évoqué, mais Le P. de T. pensa au vicaire général de Paris Denis Affre, dont il obtint la nomination de coadjuteur en 1839. Or celui-ci fut préconisé archevêque de Paris en 1840. Après de longues intrigues, ce fut finalement le chanoine André Raess © qui fut préconisé coadjuteur de Le P. de T. le 11.12.1840. Il prit en main l’administration du diocèse dès 1841 et devint, à la mort de Mgr Le P. de T., le nouvel évêque de Strasbourg.
J.M. Quérard, La France littéraire, V, Paris, 1854, p. 183 ; Meyer, Sitzmann II, 889-890. Il n’existe pas encore de biographie exhaustive de Le Pappe de Trévern, néanmoins son rôle et son action ont été évoqués dans plusieurs ouvrages et articles. La meilleure approche figure dans R. Epp, Le mouvement ultramontain dans l’Eglise catholique en Alsace au XIXe siècle (1802-1870), I, Paris-Lille, 1975, p. 218-276 ; une biographie sommaire est fournie par F. Reibel, Die Bischöte von Strassburg seit 1802, Strasbourg, 1958, p. 27-30, portrait; Ch. Wackenheim, Les évêques de Strasbourg, témoins de leur temps, Griesheim, 1976 ; EA X, 1985, p. 5823-5825 ; DMRA, p. 260-262. La correspondance de l’évêque adressée à son ami Mgr de Poulpiquet (1816-1839) a été publiée par J.M. Pilven, Bulletin diocésain d’histoire et d’archéologie de Quimper et de Léon (Quimper), 1917, p. 125-190. Le début de l’épiscopat (1827-1830) est étudié par P. Leuilliot, L’Alsace au début du XIXe siècle (1815-1830), III, Strasbourg, 1960, p. 73-93. Des articles traitent de questions particulières : H. Bremond, Le Pappe de Trévern et la Restauration de l’Eglise Gallicane, La Revue de France, 1924, p. 239-305 ; E. Hauviller, La politique de Mgr Le Pappe de Trévern, évêque de Strasbourg, Revue Historique 171, mars-avril 1933, p. 315-316; R. Epp, L’évêque de Strasbourg Le Pappe de Trévern et la Révolution de 1830 ou l’épiscopat français de la Restauration devant la Monarchie de Juillet, RSR, 1971, p. 339-357; L. Schlaefli, La Petite Sorbonne de Mgr Le Pappe de Trévern, ASHAM, 1970, p. 105-116 et La Petite Sorbonne à Marlenheim, AEA 42, 1983, p. 357-364; Cl. Muller, Mgr Le Pappe de Trévern et la formation du clergé alsacien (1827-1842), La formation du clergé dans les diocèses de Strasbourg et de Metz de 1801 à 1870, Strasbourg, 1985, p. 35-63 ; F. Ponteil, La Renaissance catholique à Strasbourg. L’affaire Bautain (1834-1840), Revue historique 154, 1930, p. 225-287; P. Poupard, L’abbé Louis Bautain, Tournai, 1963 ; P. Leuilliot, Mgr Le Pappe de Trévern et le clergé alsacien au lendemain de la Révolution de 1830, RA, 1930, p. 443-449. Enfin les négociations pour la coadjutorerie sont évoquées en particulier dans Cl. Muller, Dieu est catholique et alsacien. La vitalité du diocèse de Strasbourg au XIXe siècle (1802-1914), Strasbourg, 1986 et Le chanoine Urbain Birgy, AEA 43, 1984, p. 263-286, avec un portrait inédit p. 276.
Claude Muller (1995)