Professeur, chargé du rapatriement des biens culturels alsaciens durant l’Occupation nazie, (C) (★ Heidelberg, Bade-Wurtemberg, 30.5.1886 † Fribourg-en-Brisgau, Bade-Wurtemberg, 15.1.1946 durant sa détention).
Fils de Johann Kraft, professeur, et de Karolina Scheufele. ∞ 6.8.1920 à Villingen, Wurtemberg, Augusta Wiedel. Études philologiques à Marbourg, Heidelberg, Paris et Munich. Officier d’aviation en 1914–1918. Professeur de lycée à Pforzheim en 1920. En mars 1923, membre du Parti national-socialiste NSDAP qu’il représenta à partir de 1929 au Landtag de Bade et présida en 1933- 1934. Nommé en 1933 Ministerialrat au ministère de l’Enseignement de Bade, à la Direction des écoles secondaires et, en cette qualité, en Alsace à partir de juillet 1940. Membre du Reichstag à partir de 1934, Sportgauführer, chargé de missions pour l’enseignement de l’allemand à l’étranger, lieutenant-colonel SS, titulaire de l’insigne d’or du parti. Le Gauleiter Robert Wagner ©, chef de l’administration civile en Alsace, chargea Kraft du rapatriement des biens alsaciens évacués en septembre 1939. Durant quatre années, il parcourut la France à la tête de commissions de spécialistes, négocia avec le gouvernement à Vichy en menaçant de saisir en zone occupée des bibliothèques, archives et objets d’art en contrepartie des biens retenus dans la zone non occupée. Au cours de sa première mission, d’octobre 1940 à juillet 1941, il rapatria la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, les bibliothèques et le matériel scientifique de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, mais n’obtint pas le retour des quelque cinq cents étudiants alsaciens, des « petits Français cocardiers et fanatiques (Französlinge) qu’il est inutile de vouloir influencer ». À partir de juillet 1941, sa deuxième mission concerna la Bibliothèque municipale de Strasbourg, les écoles normales, les lycées, écoles supérieures, professionnelles et primaires, l’Ecole de chimie de Mulhouse, les objets d’art de la préfecture du Bas-Rhin, du Palais du Rhin et du rectorat, les archives du Haut-Rhin, les actes des tribunaux et des notaires, les dossiers de plusieurs administrations ainsi que les biens ecclésiastiques. Le président de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine, Robert Hoepffner ©, refusant, à Périgueux, de livrer les archives et la bibliothèque du Chapitre et de la Fondation Saint-Thomas entreposées dans trois châteaux de la Dordogne, Kraft en obtint, en décembre 1942, la livraison, sur ordre du président du Conseil Pierre Laval. Des entretiens et échanges de lettres avec l’évêque de Strasbourg, Mgr Ruch ©, en résidence à Trélissac en Dordogne, ainsi que des interventions auprès du nonce à Vichy s’étant révélés infructueux, Laval s’en remit à Kraft pour « venir à bout de l’opposition de Mgr Ruch ». Par l’intermédiaire du Gauleiter, Kraft en appela à Hitler qui, le 12 mars 1943, ordonna que « les biens catholiques soient ramenés en Alsace sans le consentement de l’évêque ». Fort de ce Führer-Befehl, selon son expression, Kraft enleva entre le 20 et le 24 mai 1943 des châteaux de Bourdeilles et Hautefort, avec un commando de SS et l’aide de la Wehrmacht, les biens catholiques : le trésor de la cathédrale, les quatorz Gobelins, les quatre tapisseries de saint Adelphe de Neuwiller-lès-Saverne, les objets d’art du Grand Séminaire et d’une quarantaine de paroisses. Pendant que se déroulait le chargement, Mgr Ruch protesta solennellement dans une lettre au pape et au gouvernement à Vichy contre « ce rapt et ce sacrilège perpétré par l’envoyé de l’Allemagne flanqué de policiers, soldats et crocheteurs » (21 mai 1943). Kraft poursuivit ses recherches d’autres biens et objets d’art, jusqu’à ce qu’en juillet 1944, l’insécurité dans le sud-ouest mît un terme à sa mission menée « mit deutscher Gründlichkeit » et selon le « droit du vainqueur » qu’il n’eut de cesse d’invoquer.
Archives nationales, F 17 13379, AJ 41 477 ; Archives départementales du Puy du Dôme, M 07860 ; Archives départementales du Bas-Rhin, AL 154 (15/16) ; Archives des Affaires étrangères, Bonn, divers dossiers ; H. Kraft, « Elsässisches Kulturgut geht heim », Strassburger neueste Nachrichten du 7.3.1943 ; K. Stenzel, « Die Rückführung der elsässischen Archive », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 1943, p. 1-8 ; Mgr Ruch, « Protestation contre l’enlèvement par la force étrangère des biens du diocèse de Strasbourg », Courrier de Genève du 14.5.1944 ; A. Irjud, « Une curieuse chasse au trésor », Saisons d’Alsace, n° 114, 1991, p. 79-94, ill.
Alphonse Irjud (1994)
