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KORNMANN

Famille (Pl) d’hommes d’affaires strasbourgeois des XVIIe et XVIIIe s., dont l’ampleur des activités bancaires et commerciales reste difficile à saisir dans l’état actuel de nos connaissances. Mais les quelques documents notariés et autres que nous avons eu l’occasion d’analyser, laissent entrevoir une entreprise commerciale aux ramifications internationales, doublée de deux établissements bancaires établis à Paris et à Strasbourg, très florissants pendant plusieurs décennies, mais très complexes. Les Kornmann ont joué un rôle de relais dans le dispositif des opérations françaises pendant les guerres continentales dont un des théâtres était l’Allemagne du Sud. À partir de 1719 la banque Kornmann et Cie figure inchangée et sans éclipse dans les Almanachs royaux jusqu’à la Révolution. La famille possédait d’importantes propriétés foncières, parmi lesquelles la seigneurie de Schweighouse-sur-Moder. L’ancêtre de la branche strasbourgeoise est un certain Zimprecht Kornmann.

  1. Johann,

homme d’affaires. Il est dit originaire d’Augsbourg. Fils de Zimprecht Kornmann et de Felicitas Herter. ∞ 28.9.1635 à Strasbourg, Saint-Thomas, Esther Triponet (★ Strasbourg, Saint-Thomas, 3.4.1614), issue d’une famille de négociants strasbourgeois ; 6 enfants, dont Pierre © 2. En 1649, on apprend que les héritiers du lieutenant général Taupadel cédèrent les deux tiers de leurs biens fonciers sis dans le ban de Balbronn à J. Kornmann (Archives municipales de Strasbourg, Série IV 110). Celui-ci avait aussi une propriété foncière près du Wickhäusel à la sortie sud de Strasbourg (Archives municipales de Strasbourg, Chambre des Contrats, 1652). L’acquisition de biens fonciers alla de pair avec le commerce de chevaux, notamment entre 1660 et 1666. Dans une lettre adressée au Magistrat de Strasbourg, il affirma en avoir acheté 33 à Groeningen, dont une vingtaine furent revendus en cours de route près de Philippsbourg à Poncet Jeunet de Pontarlier (Archives municipales de Strasbourg, PV des XXI, 5.2.1666 et Série V 45/12). À l’en croire, il aurait versé à la ville plus de 1 000 rixdales de Pfundzoll pendant ladite période, ce qui correspondrait à la vente de 660 chevaux. L’année suivante, c’est néanmoins la faillite (Archives municipales de Strasbourg, Série III 85/11 et PV des XXI, 30.12.1667). Celle-ci aurait été provoquée par le non remboursement de 16 000 florins dus par son beau-frère et associé Pierre Triponet ©, par des pertes non chiffrées provenant du commerce des chevaux, des vols qu’il estime à 8 000 florins, dont il a été victime, enfin des créances non récupérables d’un montant de 20 000 florins. Il pense, écrit-il, être en mesure de rembourser les créanciers étrangers avec les stocks de marchandises (Effecti) qu’il possède encore à Francfort. Nous apprenons dans la même lettre que c’est lui J. Kornmann qui avait avancé en 1649 la moitié des 69 750 florins de contributions de guerre réclamées à la ville de Strasbourg. En 1673, il est de nouveau question de remboursement de deux dettes par Johann Kornmann ; sans doute s’agit-il d’un fils portant le même prénom (? Strasbourg, Temple-Neuf, 3.5.1640) ; il s’agit du paiement de 581 rixdales à Étienne Mallet, marchand de Genève (Archives municipales de Strasbourg, Chambre des Contrats, t. 541, f. 372 s). J. Kornmann exporta du tabac et du safflor à Genève. Il reconnaît d’autre part devoir 900 rixdales à l’entreprise Weickmann-Fingerlin à Ulm (Archives municipales de Strasbourg, Chambre des Contrats, t. 541, f. 326 s.). Le remboursement eut lieu en 1682. Signalons enfin qu’en 1687, J. Kornmann est gérant du bureau des carrosses pour Paris et Bâle (G. Livet, L’intendance d’Alsace..., p. 876, n. 1).

  1. Pierre,

banquier (★ Strasbourg, Saint-Nicolas, 6.6.1647 † Strasbourg, Saint-Nicolas, 21.1.1727). Fils de Johann Kornmann © 1. ∞ I 3.8.1676 à Strasbourg, Saint-Nicolas, Marie Madeleine Lang (∞ Strasbourg, Temple-Neuf, 3.10.1653 † Strasbourg, Saint-Nicolas, 14.4.1694), fille de Johann Lang, négociant, et de Margaretha Delamer. ∞ II 8.6.1695 à Strasbourg, Saint-Nicolas, Ève Madeleine Reinbold (★ Strasbourg, Saint-Pierre-le-Jeune, 27.10.1663), fille de Georges Reinbold, receveur des Hanau-Lichtenberg à Rheinbischofsheim, Bade. Élève au Gymnase en 1654, membre des XXI (1722-1723) et des XV (1723-1726). L’histoire de ses activités commerciales et de ses relations bancaires reste encore à écrire. Le peu qu’on en sait prouve cependant qu’il était un important homme d’affaires. Deux de ses fils sont établis à Paris comme banquiers. Pierre Kornmann et fils figurent vers 1706 parmi les banquiers qui procurent aux frères Hogguer l’argent servant à l’entretien de l’armée française en Italie du Nord. Le nom Kornmann apparaît aussi vers 1713-1714 dans les comptes et la correspondance de l’entreprise Papillon et Cie à Paris. On trouve Kornmann également le 6 décembre 1720 signataire d’une délibération de 12 éminents banquiers s’engageant envers les porteurs de lettres tirées ou endossées par eux et revenus à protêt, à leur remplacer le montant en argent de France ou la valeur « en devises ». P. Kornmann pratiquait au moins depuis 1689 (Archives municipales de Strasbourg, Série VI 517/1) le commerce du tabac. On lui reprocha alors des pratiques monopolistes en la matière (Archives municipales de Strasbourg, PV du Corps des marchands, t. 1, p. 174 s.). Au moment de son décès en 1727, il avait 12 454 florins de créances à recouvrer provenant de livraisons de tabac en Wurtemberg. Parmi les bonnes créances figurent des ventes d’indigo, de safflor, du vin, des spiritueux pour 19 563 livres. Propriétaire de revenus divers à Zutzendorf, Weiterswiller et Lembach en échange d’un prêt de 2 000 rixdales aux frères Henri Jacques © 15 et Jacques de Fleckenstein, il jouissait en outre de rentes foncières à Batzendorf, Stutzheim et Fessenheim (Archives départementales du Bas-Rhin, 6 E 41/33). Un de ses bureaux « de messageries, chevaux de louage et autres voitures » se trouvait rue de l’Épine en 1687. Dans ses relations d’affaires avec Jean Dietrich © 4, il est question en 1693 du paiement d’une lettre de change de 12 000 livres tournois sur la ville (?) de Paris. La fortune de P. Kornmann était constituée pour 60 % en biens fonciers. Son nom figure sur les premières listes de soumissions pour la souscription d’actions de la Cie d’Occident portant sur près de 30 millions de livres tournois (14 septembre 6 octobre 1717).

  1. Jean,

banquier (★ Strasbourg, Saint-Nicolas, 6.4.1681 † Strasbourg, Saint-Nicolas, 27.3.1731). Fils de Pierre Kornmann © 2 et de sa première épouse Marie Madeleine Lang. ∞ 5.12.1703 à Strasbourg, Saint-Nicolas, Marie Élisabeth Leo († Strasbourg, Saint-Nicolas, 23.4.1724), fille d’André Leo, receveur seigneurial à Bouxwiller. Membre du petit sénat de Strasbourg. L’inventaire de la succession (Archives municipales de Strasbourg, Notaires, 171, n° 340) de J. Kornmann, banquier, fournit quelques renseignements intéressants sur quelques membres de la famille. Il nous apprend qu’il avait un frère, célibataire, prénommé Daniel (? Strasbourg, Saint-Nicolas, 30.8.1691 † Paris 14.2.1752), juriste, élève au Gymnase en 1697, en philosophie en 1706, en droit en 1712, grand juge des gardes suisses à Paris. F.-A. Holbach, oncle du philosophe, « M. Mississipien parvenu » avec des gains supposés de 20 millions de livres, avait nommé Daniel Kornmann, « son ancien ami », exécuteur testamentaire, mais celui-ci mourut quelques mois avant lui. De Daniel il est écrit qu’il fut « inhumé nuittamment sans bruit, scandai, ny appareil dans le cimetière des protestants Etrangers à la porte Saint-Martin ». Son testament est daté du 10 février 1752.

  1. Frédéric,

banquier (★ Strasbourg, Saint-Nicolas, 10.11.1683 † Strasbourg, St-Nicolas, 12.5.1759). Frère de Jean Kornmann © 3. ∞ 16.2.1737 à Strasbourg, Saint-Pierre-le-Jeune, Marie Élisabeth Gambs (★ Strasbourg, Temple-Neuf, 6. 9. 1693 † Strasbourg, Saint-Pierre-le-Jeune, 27.2.1737). Élève du Gymnase en 1693, banquier et membre des XV de 1733 à 1748. Signa le 23 septembre 1741 le nouveau règlement octroyé aux tailleurs établis à Dorlisheim, Schiltigheim et Ostwald (Archives municipales de Strasbourg, Série IV 61/1).

  1. Pierre

banquier (★ Strasbourg, Saint-Nicolas, 19.6.1688 † Paris 20.1.1757). Frère de Frédéric Kornmann © 4. Célibataire. Domicilié à Paris, rue Michel-le-Comte, Pierre Kornmann, intéressé pour 30 000 livres, signa un contrat de société comme associé commanditaire le 15 janvier 1732, d’une part avec ses neveux Jean-Philippe (30 000 livres) et Jean (15 000 livres), associés gérants de la maison de Paris, d’autre part avec Thomas Wachter et Jean Guillaume Kornmann, intéressés respectivement pour 25 000 et 20 000 livres, associés gérants de la maison à Strasbourg sous la raison de Kornmann frères et Cie. Seuls Jean Philippe Kornmann à Paris et Wachter à Strasbourg eurent la signature. Les rapports entre les deux maisons furent réglés de façon que « les fonds seront autant que possible pour moitié à Paris et pour moitié à Strasbourg ». Jus- qu’à la mort de Pierre Kornmann en 1757, la société fut prorogée avec le même fonds capital de 120 000 livres de trois ans en trois ans. En 1757, une nouvelle société fut contractée avec un capital de 480 000 livres.

  1. Jean-Philippe,

banquier à Paris (★ Strasbourg, Saint-Nicolas, 11.3.1696 † Paris 13.11.1777). Demi-frère de Pierre Kornmann © 5. Célibataire. Élève au Gymnase en 1701. Membre de la société de commerce créée à Paris pour une durée de trois ans (du 1er janvier 1757 au 31 décembre 1759) au capital de 480 000 livres entre J.-Ph. Kornmann qui fournit 240 000 livres, Thomas Wachter 100 000 livres, Guillaume Kornmann (frère de J.-Ph. Kornmann) 80 000 livres et Jean Kornmann 60 000 livres. En cas de décès de l’un des associés, les survivants auraient la faculté de rembourser aux héritiers du défunt le capital avec 8 % d’intérêts annuels. J.-Ph. Kornmann fut chargé de la correspondance et de toutes les négociations commerciales ; Thomas Wachter tint les livres de comptes, la caisse et s’occupa de la correspondance à Strasbourg. Jean Kornmann tint la caisse à Paris et s’occupa de l’expédition des affaires, des lettres de change, etc. Guillaume Kornmann fut chargé de l’expédition des marchandises et de la messagerie avec les écritures qui en dépendaient. On décida de donner aux pauvres « ce que l’on jugera à propos ». Un inventaire serait établi quand la société prendrait fin. Lorsqu’en 1763, la société fut prolongée pour six ans après que Jean Kornmann s’en fut retiré en 1760 avec le capital et bénéfices, J.-Ph. Kornmann eut seul la signature à Paris tandis que Thomas Wachter l’eut à Strasbourg. Étant donné l’âge de ce dernier, on lui adjoignit Guillaume Kornmann © 9. La part de Jean Kornmann s’étant élevée à 3/24e, celle-ci fut répartie comme suit entre Jean-Philippe et Guillaume : 13/24e au premier et 6/24e au second, d’où les parts respectives de 260 000 livres à J.-Ph. Kornmann, 120 000 livres à Guillaume Kornmann et 100 000 livres à Thomas Wachter. La caisse parisienne fut confiée à l’un ou l’autre fils de Guillaume Kornmann, responsable des actions de ses fils, Frédéric Pierre © 8 et Guillaume © 9. La société fut renouvelée en septembre 1774.

  1. Jean,

marchand (★ Strasbourg, Saint-Nicolas, 23.10.1704). Fils de Jean Kornmann © 3. Établi à Paris, membre de la société de commerce Kornmann. La maison familiale se trouvait alors à Strasbourg au coin de la rue de l’Épine et de la rue de la Lie. En plus du riche mobilier, de l’argenterie, de l’importante lingerie, des ustensiles de cuisine etc., l’inventaire mentionne les propriétés foncières suivantes : une maison d’habitation sise rue Mercière, face à la cathédrale, estimée 5 500 florins, une autre maison dans la Grand’Rue, non loin de la rue du Bouclier, une grande propriété à la Robertsau évaluée à 9 000 florins, un grand jardin sis devant la porte des Juifs et celle des Pêcheurs, une exploitation agricole à Oberhoffen, des parts de biens fonciers à Herrlisheim et à Rohrwiller. Le montant total de la succession était évalué à 13 948 livres 15 sous et 9 deniers. L’énumération des créances douteuses, remontant aux années 1723-1733, donne un aperçu sommaire de l’étendue des relations commerciales : veuve Faesch à Amsterdam, Ringmacher à Lyon, Hansenberger à Vienne (Autriche), Johann Georg Hienlin à Ulm, Johann Ludwig Koenig à Francfort, Stephan Cammer (ou Canwer ?) à Augsbourg, veuve de La Pallue (?) à Beaune. Faudel, dont le siège social n’est pas indiqué, doit à lui seul 17 254 livres. Le total des créances douteuses s’élève à 141 301 livres.

  1. Frédéric-Pierre,

banquier (★ Strasbourg, Temple-Neuf, 3.7.1738 † Paris VIe 23.5.1819). Fils de Guillaume Kornmann (1702-1777), banquier et assesseur du Grand Sénat, et de Cunégonde Richshoffer ; petit-fils de Pierre Kornmann © 2. ∞ 20.6.1779 à Strasbourg, Temple-Neuf, Louise Catherine Baujou (C), fille de Paul Baujou, ancien greffier au Parlement de Paris, domicilié à Biesheim, Haut-Rhin, en 1779. Élève au Gymnase en 1745. Avec son frère Guillaume ci-après, Frédéric Pierre prit part à l’emprunt de 4 millions de livres lancé par Louis Philippe Joseph d’Orléans, duc de Chartres, le 2 juin 1782 pour l’entreprise d’aménagement commercial du Palais-Royal.

  1. Guillaume.

négociant (★ Strasbourg, Temple-Neuf, 21.11.1741 † ?). Frère de Frédéric-Pierre Kornmann ©8. ∞ 6. 6. 1774 à Bâle Catherine Marie Faesch (★ Amsterdam 14.11.1758), fille de Jean Faesch, marchand et membre du Grand Sénat de Bâle, et d’Adrienne Élisabeth de Hoy ; 3 enfants : Adélaïde Philippine (★ 24.3.1776), Auguste Frédéric (★ 29.1.1779), Aérienne Rosine (★ 16-17.2.1782). Selon un autre texte elle serait née à Bâle (Archives municipales de Strasbourg, AA 2568, f. 294). L’épouse acquit gratuitement le droit de bourgeoisie à Strasbourg le 26 septembre 1774. Son mari était alors membre des XXI à Strasbourg (il avait été élève au Gymnase en 1748 et étudiant en philosophie en 1756). Il fut membre des XV de 1781 à 1784. La séparation de corps et de biens entre les deux époux (voir infra) fut suivie du divorce prononcé à Paris le 3 août 1793 en vertu de la loi du 20 septembre 1792. Après avoir donné naissance à ses trois enfants, Catherine Marie Faesch se remaria le 1er mars 1794 à Paris avec Antoine Jean Job Baudecourt, commissaire des guerres, fils de feu Antoine Job Baudecourt, négociant à Nîmes, et d’Anne Chabanel. Au moment du remariage, la fortune de l’épouse est évaluée à 400 000 livres « constituées en majeure partie de créances mobilières ». Le contrat du premier mariage, signé à Bâle le 22 mars 1774, stipula entre autres que le père du marié assurerait à celui-ci un revenu annuel de 12 000 livres et lui fournirait le ménage. Le jeune marié promit à son épouse 10 000 livres de dot (Morgengabe). La communauté de biens était réduite aux acquêts. Si Catherine Marie Faesch survivait à son mari, les héritiers de celui-ci seraient tenus de verser à la veuve 60 000 livres. L’arrêt du Conseil d’État du roi du 30 août 1782 (Archives municipales de Strasbourg, AA 2409), rendu au moment de la faillite des deux frères, fournit quelques renseignements sur leurs affaires. Ils étaient propriétaires de deux comptoirs bancaires : l’un, établi à Paris, était dirigé par Frédéric Pierre Kornmann © 8 sous la raison sociale Kornmann et Cie; l’autre se trouvait à Strasbourg et était géré par G. Kornmann et Thomas Wachter sous la raison Kornmann Frères et Cie. Les deux frères avaient hérité ces deux comptoirs de leur père Guillaume Kornmann et de leur oncle Jean-Philippe Kornmann © 6. Ils ont joué un rôle capital dans les affaires financières de la monarchie. Leur « banque fameuse depuis un siècle » comptait parmi ses clients Monsieur, frère du roi. « Les investissements dans la construction de l’hôpital royal des Quinze-Vingt réunis à d’autres opérations commerciales portèrent peu à peu la masse à des sommes considérables. L’attention du public a ainsi été fixée et a attaqué leur crédit. D’où la nécessité de suspendre leurs paiements. » Ils estimèrent cependant pouvoir remplir tous leurs engagements si des événements nouveaux ne survenaient pas. « Toutefois, la nature de leurs actifs ne leur laisse pas entrevoir d’y réussir aussi promptement qu’ils le désireraient. » Un rapport, daté de janvier 1783 (Archives municipales de Strasbourg, AA 2409, f. 17 s.), nous apprend en outre que l’entreprise de l’hôpital des Quinze-Vingt a poussé les associés Kornmann à emprunter plus de 700 000 livres, ce qui a miné le crédit des deux maisons. Antérieurement, est-il dit, les Kornmann disposaient de trois millions de livres et la renommée de leurs crédits était telle, même à l’étranger, que chacun croyait qu’en plaçant son argent chez les Kornmann, il le placerait dans la caisse de Dieu ! À Strasbourg, on estimait que la faillite était la conséquence d’engagements et de décisions irréfléchis. C’est pourquoi G. Kornmann devait être considéré comme « ein muthwilliger und treuloser falliten ». La confiance qu’inspirait la banque Kornmann explique aussi pourquoi le Magistrat de Strasbourg la chargea en 1780 du « maniement gratuit des deniers de Strasbourg à Paris », soit pour payer les rentes que la ville de Strasbourg devait y régler, soit pour y encaisser ce qu’elle aurait à y percevoir (Archives municipales de Strasbourg, Série VI 521/1-5). En d’autres termes, la maison Kornmann de Paris administrait les fonds de la ville de Strasbourg dans la capitale. Lorsque le bruit de la faillite se répandit à Strasbourg (Archives municipales de Strasbourg, PV des XV 7 décembre 1782), le Magistrat entama une procédure d’exclusion de G. Kornmann et de Thomas Wachter, le premier en tant que membre du Conseil des XV, le second en tant que XXI, car leur permettre de rester membres des deux assemblées aurait sérieusement entamé l’honorabilité de celles-ci (Archives municipales de Strasbourg, PV des XV 3 mars 1783, p. 119 et s.). L’exposé que fit l’avocat Mogg nous apprend que le montant des fonds de la société Kornmann se chiffrait à 1 900 661 livres (août 1782). Cette somme, dit-il, « a disparu en grande partie et n’existe plus que sur le papier ». Selon Mogg, les dettes de la société s’élèveraient à 1 616 083 livres ! À la même époque, la fortune de Frédéric Pierre Kornmann, gérant de la maison parisienne, fut évaluée à 876 258 livres. On cite à ce propos des biens à Schweighouse-sur-Moder évaluée à 240 000 livres. D’un acte notarié du 17 juillet 1783 (Archives départementales du Bas-Rhin, 6 E 41/193), passé devant Me Marjantin à Paris et se référant à un acte du 30 novembre 1781 « contenant liquidation et partage entre les deux frères », il apparaît que ceux-ci possédaient alors en indivis une maison d’habitation rue des Hallebardes, occupée par Thomas Wachter, la moitié d’une autre maison dans la Grand’Rue, des biens affermés à Artolsheim, un vingtième de la dîme à Vendenheim, des biens à Osthoffen, Lingolsheim et Willgotheim et les 2/3 de la dîme à Mussig. Tous ces biens et revenus, G. Kornmann les céda à son frère Frédéric-Pierre pour en jouir à partir du 1er juillet 1781. La fortune de G. Kornmann était alors estimée à 119 104 livres. « La balance de l’actif et du passif du sieur Guillaume ? semblerait produire un bon de masse de 119 104 livres, mais d’un côté il doit être chargé des dettes et des charges passives de la société et de l’autre des dettes des intérêts et entreprises de terrains et bâtiments qui lui sont propres et à ses associés aux dites entreprises ainsi que des dettes dues aux divers ouvriers et entrepreneurs… » L’exposé de l’avocat Herle devant le Magistrat de Strasbourg nous apprend que les deux frères Kornmann et Thomas Wachter avaient signé un contrat d’association le 19 février 1779 dont un article stipule qu’aucun des associés « ne pourra faire un commerce particulier semblable à celui de la dite Société encore moins qu’il puisse lui être préjudiciable ». Selon un autre article, la société devait limiter ses affaires « aux opérations de banque et de commerce » et les sociétaires s’imposaient de se concerter et d’agir en tous points en bons et fidèles associés et employer constamment les fonds pour les biens du commerce. Enfin, l’article 9 ne donnait droit aux sociétaires qu’à un prélèvement de 6 % du capital placé « à titre de levée et de subsistance ». La société fut mise en difficulté par le retrait des parts de Kornmann et par des spéculations à Paris, notamment sur les terrains de l’« Opéra », ce qui était contraire aux statuts de la société. On reproche aussi à G. Kornmann d’avoir gaspillé de l’argent en faisant construire une grotte dans son jardin parisien. L’exposé de l’avocat Fischer complète les données précédentes en ce sens qu’il signale que les créanciers parisiens réclament à la société 914 629 livres et les créanciers strasbourgeois 701 453 livres. Mais Fischer conteste les chiffres avancés au sujet de l’actif de Frédéric-Pierre Kornmann qui s’élèverait à 876 258 livres, et celui de G. Kornmann à 119 104 livres. (Archives municipales de Strasbourg, PV des XV, 3 mars1783). En fin de compte, on proposa à G. Kornmann de démissionner dans les quinze jours, sinon ses fonctions de XV seraient déclarées vacantes d’office. Mais G. Kornmann avait des protecteurs efficaces à Paris. Intervint entre autres en sa faveur la comtesse Marie Thérèse d’Artois, qui écrivit de Versailles au Magistrat de Strasbourg, priant celui-ci de différer toute décision « jusqu’à ce qu’il soit prouvé qu’il n’a pas rempli ses engagements ». Une lettre du préteur royal du 19 avril 1783 va dans le même sens : le préteur demande au Magistrat d’attendre la décision du marquis de Ségur, secrétaire d’état de la Guerre (Archives municipales de Strasbourg, PV des XV, 1783, p. 27, 114, 118, 128, 187, 196, 225).

À ce qui précède, il faut ajouter que l’entente ne régnait pas entre les époux Kornmann-Faesch. L’épouse était orpheline lorsqu’on la maria à 15 ans en 1774 à « un homme dont elle ne connaissait ni l’humeur, ni le caractère ; l’événement justifia qu’elle avait été trompée en voulant faire son bien » (Archives municipales de Strasbourg, AA 2568, f. 294). Pourtant elle avait apporté une dot de 350 000 livres. Son mari est dépeint sous les traits les plus affreux : « santé débile, physique cacochyme, caractère dissimulé et froidement méchant » … « il n’est sorte de rigueurs et d’outrages » qu’il a fait subir à son épouse « chaque jour depuis leur union » alors que son épouse « n’apportait que plus de douceur pour empêcher les fureurs et les emportements ». « La cupidité et l’ambition la plus démesurée [étaient] les deux grands mobiles de ses actions. » « Strasbourg et Spa [Belgique] ont été successivement témoins de tout ce qu’elle eut à souffrir des bizarres caprices de la méchanceté réfléchie de son mari. » Celui-ci, après lui avoir reproché l’infidélité, l’installa dans « une maison de force » sise à Paris, rue Bellefonds, tenue par deux dames Lacour et Douay. En désespoir de cause, la vie commune étant devenue impossible et pour préserver sa dot dans l’intérêt de ses enfants, l’épouse demanda en 1782 la séparation de corps et de biens (Archives municipales de Strasbourg, AA 2568) au tribunal du Châtelet, ce que son mari refusa. Daudet de Jossan, fils du directeur des greniers à sel de la ville de Strasbourg et syndic royal adjoint, l’y aurait poussée (lettre de G. Kornmann au préteur royal du 20 décembre 1781 dans les Archives municipales de Strasbourg, AA 2568). En tant que bourgeois protestant de Strasbourg, Guillaume Kornmann obtint que le procès fût porté devant la chambre matrimoniale de cette ville (arrêté du Conseil d’État du 11 novembre 1783), car il considérait Paris comme « une simple résidence, purement relative à l’exercice d’une banque dont il a été obligé de se charger au décès de son oncle » (Archives municipales de Strasbourg, AA 2568, f. 298). À la séparation de corps et à un non-lieu du tribunal du Châtelet du 2 avril 1789 concernant l’accusation d’adultère, suivit, en 1793, le divorce et le remariage. Le procès en adultère fournit à Guillaume Kornmann la matière de déclarations moralistes enflammées contre l’Ancien Régime. Dans une série de pamphlets, Nicolas Bergasse, ami de Guillaume Kornmann., dépeint Mme Kornmann « cachée dans ses nids d’amour » tandis que son ami « souffre comme un martyr archétypadu despotisme ». Signalons encore en terminant que Guillaume Kornmann était co-fondateur avec Nicolas Bergasse, avocat philosophe, de la société de l’Harmonie universelle dont Guillaume était trésorier et que les deux amis s’étaient temporairement attachés aux « baquets » de Mesmer (1782). Celui-ci avait guéri le fils de Kornmann d’une cécité partielle en lui faisant passer des heures au baquet. En militant pour le magnétisme, les deux hommes et leurs fidèles qui se réunissaient dans la maison Kornmann estimèrent se battre pour la liberté, pour les innovations politiques, pour la convocation des États Généraux et contre les programmes des ministères Calonne et Brienne. Le groupe Kornmann représente ainsi l’apogée du mouvement mesmérien en politique. On ignore dans l’état actuel de nos connaissances les suites de la faillite des deux frères. Les quelques renseignements que nous avons réunis prouvent que la famille Kornmann mériterait une étude approfondie, facilitée par l’existence de nombreuses archives.

Archives municipales de Strasbourg, Série III 85/11 (1667) ; IV 61/1 et 110 ; V 45/12 ; VI 286, f. 115, 120, 139, et 423/2, 426/9, 512/3, 517/1, 521/1-5, 620/2, 639/30 ; VII 3, 21/15, 86/2, 96/4, 104/1 ; AA 2409, 2568, 2575 ; Chambre des Contrats, 541, f. 326 s. et f. 372 s. ; registres paroissiaux Saint-Nicolas, Saint-Pierre-le-Jeune, Temple-Neuf et Saint- Thomas ; PV du Corps des Marchands I, p. 174 s. ; PV des XV, 7.12.1782 et 1783, p. 27, 114 s., 118 S.. 128 s., 187, 196, 225 s. ; PV des XXI, 5.2.1666, 30.12.1667 ; Livre de bourgeoisie III, c. 862 ; Actes des notaires, 160, n° 180, 171, n° 340, 754, n° 409, 771, n° 790, 777, n° 503, 782, n° 404 ; Arbre généalogique Kornmann avec photocopies d’actes notariés du Minutier central déposées par G. Baer aux Archives municipales de Strasbourg; Archives départementales du Bas-Rhin, 6 E 41/33, 41 et 193, 6 E 41/84, 91, 794 ; Staatsarchiv Basel, Privatarchive 399 D 3, Faeschisches Familienbuch (renseignement aimablement transmis par le Dr Ulrich Barth, archiviste) ; Mémoire sur une question d’adultère, de séduction et de diffamation pour le sieur Kornmann contre la dame Kornmann son épouse..., 1787 ; Nouvelles observations pour le Sr Kornmann contre M. Lenoir, chez Gallande, 1787 ; N. Bergasse, Observations du sieur Bergasse dans la cause du sieur Kornmann, 1789 ; L. de Loménie, Beaumarchais et son temps, II; Paris, 3e éd. 1873, p. 381-397 ; G. Livet, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV (1648-1715), Paris, 1956, p. 411, 635, 876 ; P. Harsin, « La création de la compagnie d’Occident (1717) », Revue d’Histoire économique et sociale, 34, n1956, p. 28, 39, 41 ; H. Lüthy, La banque protestante en France de la Révocation de l’Édit de Nantes à la Révolution, Paris, I. Dispersion et regroupement (1685-1730), 1959 ; II. De la banque aux finances (1730-1794), 1961 ; J. Hatt, Liste des membres du Grand Sénat de Strasbourg, Strasbourg, 1963 ; R. Darnton, Trends in Radical Propaganda on the Eve of the French Revolution (1782-1788), thèse, Oxford University, 1964 ; J. Vogt, Pour une étude sociale de la dîme : esquisse de la tenure de la dîme en Alsace XVIe et XVIIIe s., Les fluctuations du produit de la dîme, Paris-La Haye, 1972, p. 103-133 (1er Congrès national de l’Association française d’histoire économique, 1969) ; P. Hertner, Stadtwirtschaft zwischen Reich und Frankreich. Wirtschaft und Gesellschaft Strassburgs 1650-1714, Cologne-Vienne, 1973, p. 90, 145, 153, 223, 357, 359 s., 366 ; Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, sous la dir. de G. Livet et F. Rapp, Strasbourg, II, 1981, p. 229, 234, 271, 275-276, 303 ; R. Darnton, La fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution, Paris, 1984, p. 56, 74, 75, 77, 80-83, 92, 100, 115, 119, 130, 177 ; J.-P. Kintz, La société strasbourgeoise du milieu du XVIe s. à la fin de la Guerre de Trente Ans 1560-1650, Paris, 1984, p. 422, 423 ; J.-D. Bergasse, D’un rêve de réformation à une considération européenne, MM. les députés Bergasse (XVIIIe-XIXe s), Cessenon, 1990, p, 137 s. (avec bibliographie) ; E. Pelzer, Der elsässische Adel im Spätfeudalismus. Tradition und Wandel einer regionalen Elite zwischen dem westfälischen Frieden und der Revolution (1648-1790), Munich, 1990, p. 30, n. 130, p. 173, 300. Nous remercions M. Jean Vogt des renseignements et des références (Archives départementales du Bas-Rhin et Archives municipales de Strasbourg) qu’il nous a fournis.

† François-Joseph Fuchs (1994)