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KABLÉ Jacques, pseudonyme : Petro Kephal

Assureur, homme politique, député de Strasbourg, (Pl) (★ Brumath 7.8.1830 † Strasbourg 7.4.1887).

Fils de Jacques Kablé (Kapplé) (★ Brumath 23 frimaire an IV = 14.12.1795 † Strasbourg 22.12.1871), maître de postes à Brumath, fils de Nicolas Kapplé, maître de postes, et de Marguerite Diemert (★ Brumath 22 ventôse an VII = 12.3.1799 † Brumath 5.10.1868). ∞ 4.6.1860 à Strasbourg Mathilde Diemer (★ Strasbourg 16.4.1842 † Strasbourg 30.11.1890), fille de Jean Diemer, maître d’hôtel, propriétaire de l’hôtel À la Ville de Paris, rue de la Mésange ; sans enfants. Le frère et exécuteur testamentaire de Jacques Kablé, Charles Kablé (★ Brumath 15.10.1839 † Le Havre 1903), négociant au Havre, ∞ I Julie Delaroche (1847-1874), fille d’un négociant du Havre ; 3 enfants : Jacques (1867-1941) ; Marguerite (★ Le Havre 1870 † Zurich 1939), qui ∞ 1896 Charles Simon (★ Paris 1862 † Zurich 1942), pasteur d’origine alsacienne naturalisé suisse, président de la compagnie d’assurances Alsatia de 1887 à 1895, puis agent de compagnies d’assurances suisses ; Jeanne (1873-1896). Neveux de Jacques Kablé (par les soeurs de son épouse) : Louise Julie Diemer (★ Strasbourg 15.2.1831 † Thoune 1.9.1872) ∞ 2.11.1853 Charles-Édouard Rufenacht (★ Thoune, canton de Berne, 5.7.1829 † Strasbourg 14.3.1890), de nationalité suisse, maître d’hôtel, puis propriétaire de l’hôtel AÀ la Ville de Paris à Strasbourg ; 10 enfants dont Édouard Rufenacht (★ Strasbourg 25.1.1862 † Le Havre 1924), grand-père de l’actuel député de Seine-Maritime, ancien ministre et président du Conseil régional de Haute-Normandie, Antoine Rufenacht ; Emma Diemer (★ Strasbourg 26.8.1837) ∞ 12.9.1857 Frédéric Jules Rufenacht (★ Thoune 1832), domicilié à Thoune. Jacques Kablé fit des études secondaires au lycée royal et supérieures à la faculté de Droit de Strasbourg sous la Seconde République. Il eut dans ces deux établissements Jules Ferry comme condisciple. Kablé était issu d’une famille de tradition républicaine et ne renia jamais les convictions républicaines qu’il y avait acquises et qui se renforcèrent pendant son apprentissage politique sous la Seconde République. Après un séjour en Angleterre, comme agent commercial, il s’établit en 1856, à Strasbourg, comme agent principal de la compagnie d’assurances Le Phénix (incendie et vie). Kablé fit dès 1866 partie du groupe républicain de Strasbourg, qui s’était reconstitué autour de Kuss ©, Jules Klein ©, Auguste Schneegans ©, Ernest Lauth ©. Il était, avec Staehling et Louis Valentin, le bailleur de fonds du groupe qui racheta en 1869, à la maison Bader de Mulhouse, l’Elsässisches Volksblatt, pour en faire l’organe de presse populaire des républicains modérés de Strasbourg, sous la gérance de Jacques Bastian ©, puis de Louis Fuhrer ©, comptable de la direction générale du Phénix. Kablé fut toujours considéré comme le véritable propriétaire de ce journal. Le 29 août 1870, il fit partie du groupe qui entra sous la direction de Kuss dans la Commission municipale de Strasbourg. Élu le 8 février 1871, à l’Assemblée nationale de Bordeaux, sur la liste de Kuss, il fit partie des députés protestataires. Ulcéré par le vote de l’Assemblée qui accepta la cession des départements du Rhin et de la Moselle, Kablé collabora dès son retour à l’opération dite de l’Assemblée des notables montée par Frédéric Hartmann © dans le Haut-Rhin et Jules Klein dans le Bas-Rhin, et fut élu, le 16 avril 1871, avec Jules Klein, Édouard de Turckheim ©, Félix Blumstein ©, député des notables, chargé de réclamer l’autonomie et le maintien des institutions françaises pour l’Alsace-Lorraine auprès du chancelier Bismarck. Kablé estimait devoir « sauver du naufrage, où a sombré la nationalité française, le plus possible. Et avant tout, il faut rester alsaciens. » Il fit partie de la députation qui rencontra Bismarck au début de mai à Francfort et qui assista aussi aux débats parlementaires portant sur la loi créant le « Pays d’Empire. Ces entretiens amenèrent Bismarck à envisager une marche de l’Alsace-Lorraine vers l’autonomie, et en tous cas à rejeter toute politique d’introduction des institutions prussiennes en Alsace, enfin à accélérer le règlement du dossier de l’indemnisation des victimes du bombardement de Strasbourg. Kablé fut membre du conseil municipal de Strasbourg en juillet-août 1871. Le conseil fut dissous le 13 juillet 1873, pour avoir refusé les projets d’agrandissement de la ville de Strasbourg. Kablé se tint en retrait de la vie publique pendant toute cette période. Mais son journal l’Elsässisches Volksblatt continua de paraître et de défendre la ligne du « sauvetage », qui était proche de celle des autonomistes, Jules Klein, Ferdinand Schneegans ©, et les autres membres du Conseil général du Bas-Rhin qui en 1873 acceptèrent de se faire élire dans cette assemblée, et ils obtinrent en 1874 la création d’une Assemblée consultative pour l’Alsace-Lorraine, siégeant à Strasbourg : le Landesausschuss ou Délégation du Pays d’Empire. En 1874, l’Elsässisches Volksblatt soutint la candidature protestataire d’Ernest Lauth, maire révoqué de Strasbourg, qui fut élu et se rendit à Berlin pour la seule séance de la Protestation, et n’y retourna plus ; c’est l’attitude de la « protestation exclusive ». Entre les autonomistes qui acceptaient l’annexion à l’Allemagne, et voulaient pour prix de cette concession une autonomie interne pour l’Alsace, et les protestataires exclusifs, qui ne défendaient pas les intérêts de l’Alsace, en particulier tarifaires, Kablé se prononça dès 1876 dans l’Elsässisches Volksblatt pour la « protestation et action », tout en reconnaissant que ce « tiers-parti » ne rassemblait encore que peu de monde à Strasbourg.

En 1877, l’autonomiste Gustave Bergmann © battit le protestataire Lauth à Strasbourg et fut élu député au Reichstag. Cette législature ne dura qu’un an : Bismarck voulait faire adopter une législation anti-socialiste et décida de dissoudre le Reichstag en juin 1878. Vraisemblablement sous l’influence de ses amis politiques parisiens, Kablé fit acte de candidature au Reichstag pour la circonscription de Strasbourg-Ville, sur un programme de « protestation et action », et après un accord d’alliance passé avec les députés sortants et candidats catholiques : Guerber ©, Simonis ©, Winterer ©. Kablé fut élu député au Reichstag, le 31 juillet 1878. Les efforts des autonomistes n’aboutirent pas moins à faire adopter la nouvelle loi constitutionnelle pour l’Alsace-Lorraine du 4 juillet 1879, qui confiait le gouvernement du Pays d’Empire à un Statthalter et à un gouvernement siégeant à Strasbourg. Paradoxalement le Statthalter maréchal de Manteuffel © se méfia des autonomistes, voulut séduire les « notables alsaciens ». Kablé et ses amis furent autorisés en 1880 à faire paraître un journal protestataire, La Presse, avec pour rédacteur le journaliste français Édouard Heim, et pour actionnaires le libraire Noiriel, les brasseurs Ehrhardt, Schmutz, Léon Ungemach, Charles Staehling, le fabricant de chocolat Schaal, le banquier Bloch, l’agent général d’assurances Steiner… En septembre 1881 déjà, ce journal fut interdit : on était à la veille de nouvelles élections au Reichstag. Kablé n’en fut pas moins réélu député de Strasbourg. L’interdiction aux compagnies d’assurances françaises d’avoir des agences générales en Alsace paraît à l’évidence une mesure dirigée contre Kablé, directeur régional de la compagnie du Phénix. Les directeurs régionaux et agents généraux des compagnies françaises se regroupèrent en une compagnie alsacienne, Rhin et Moselle. Le journal populaire de Kablé, l’Elsässisches Volksblatt, fut supprimé à son tour en 1882, mais en vertu de la loi réprimant le socialisme. L’attitude politique de Kablé semble alors se radicaliser.

Il collabora à la Revue alsacienne de Seinguerlet, organe de l’Association des Alsaciens-Lorrains en France et proche de la Ligue des Patriotes, signant ses « Lettres d’Alsace » du pseudonyme Petro Kephal ou P ou d’autres initiales. Il y condamna toute politique de neutralisation de l’Alsace-Lorraine, préconisée par la Ligue de la paix, s’en tenant à la formule de la Protestation de Bordeaux. Il figura aux côtés d’Antoine parmi les porteurs de cordon du poêle du convoi funéraire de Gambetta ©, dont la mort suscita une vive émotion à Strasbourg et en Alsace. La réélection de Kablé en 1884 scella l’échec de la politique d’ouverture aux notables francophiles pratiquée par Manteuffel († 1885). Le nouveau Statthalter, Clovis de Hohenlohe-Schillingsfürst ©, était moins engagé que le précédent et présida à la pacification municipale de 1886. Le pacte politique que passèrent alors le gouvernement d’Alsace-Lorraine, les autonomistes dirigés par Jules Klein et Gustave Fischbach et les protestataires strasbourgeois qu’engagea Kablé lui-même témoigne de l’étroitesse de l’espace politique pour tout programme de « protestation et action » et des capacités toujours vives des Alsaciens de tous bords à s’entendre sur une politique de « sauvetage ». Ce pacte « dépolitise » les élections municipales de Strasbourg, où en 1886 furent élus tous les anciens conseillers de 1873, dont Kablé, et des allemands immigrés, dont le Bezirkspräsident (préfet) du Bas-Rhin, Back ©, qui devint alors maire de Strasbourg. Mais les Alsaciens étaient largement majoritaires dans le conseil municipal d’une ville qui se couvrait de chantiers. À l’automne 1886, les médecins conseillèrent à Kablé, qui souffrait de troubles circulatoires de plus en plus aigus, la retraite politique et un repos complet dans un climat moins rude : il se retira à Nice. La crise franco-allemande de 1887, provoquée par Bismarck devant la montée du boulangisme en France, transforma les élections au Reichstag de février 1887 en nouvelles élections protestataires. Sans quitter Nice, Kablé céda à la pression des dirigeants protestataires qui le présentèrent : il fut à nouveau élu député de Strasbourg. Mais il ne parvint pas à se rétablir, et il fut ramené mourant début avril à Strasbourg. Seules sa maladie et sa mort lui épargnèrent l’expulsion qui frappa les députés Antoine, de Metz, et Lalance ©, de Mulhouse. La disparition de Kablé marqua la fin de la protestation politique strasbourgeoise. Le Comité Kablé était désormais dirigé par son collaborateur politique le plus proche, Emmanuel Schmutz ©. En juillet 1887, réduits au silence, les protestataires ne présentèrent pas de candidat face au candidat autonomiste, Émile Pétri ©, qui l’emporta. Les relations entretenues tout au long de la carrière de Kablé entre son entourage et les démocrates-socialistes strasbourgeois et badois, en particulier avec Adolph Geck, d’Offenbourg, s’exprimèrent en 1890 et en 1893 dans le vote protestataire pour le dirigeant socialiste allemand Bebel ©, devenu en 1893 député de Strasbourg.

Très populaire dans la population strasbourgeoise tout au long de sa carrière politique, la personnalité de Kablé et son évolution paraissent exemplaires de l’évolution politique des républicains alsaciens des premières années de l’Annexion. Le radical qui racheta un journal pour arracher les campagnes au cléricalisme politique à la fin de l’Empire pratiqua la politique de l’union nationale protestataire entre radicaux et catholiques ; le protestataire de 1871 se changea en autonomiste modéré quand l’ordre moral versaillais triompha en France. Puis, il redevint protestataire en 1878, quand en France la République l’eût emporté. Mais il était resté assez autonomiste pour participer à la fondation des grandes « affaires alsaciennes » qui devaient conserver la vie économique alsacienne sous contrôle alsacien, ou encore pour imposer à son parti le pacte municipal de 1886, qui rendit aux Strasbourgeois un conseil municipal dépolitisé, mais maître de la gestion de la ville.

Archives départementales du Bas-Rhin, Fonds AL, Élections au Reichstag ; Elsässisches Volksblatt, 1869-1882 ; Gazette de Francfort du 8.4.1887 (nécrologie) ; Ch. Grad, « Biographie de Jacques Kablé », Revue alsacienne, 1886-1887 ; Ch. Germain, « Jacques Kablé, député au Reichstag », Revue alsacienne, 1886-1887 ; J. Preiss, Jacques Kablé et l’Alsace-Lorraine depuis 1870, Paris, 1913 ; G. Schneegans, A. Schneegans (1835-1898). Memoiren, Berlin, 1904 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 2, 1910, p. 1 ; H. Galli, Gambetta et l’Alsace, Paris, 1912 ; E. Ritter, Die Elsass-Lothringische Presse im letzten Drittel des 19ten Jahrhunderts, Strasbourg, 1934 ; Ch. Rufenacht, Michel de La Roche (1775-1852), ses aïeux et ses descendants, Le Havre, 1963 (ainsi que des renseignements fournis par Antoine Rufenacht, arrière-petit-neveu de Jacques Kablé) ; F. Igersheim, L’insertion de la social-démocratie dans la vie politique strasbourgeoise, DES, 1966 ; J.-P. Kintz, Journaux politiques et journalistes strasbourgeois sous le Second Empire (1852-1870), Strasbourg, 1974 ; J.- L. Vonau, L’assurance incendie en Alsace 19e-20e siècle, thèse droit, Strasbourg III, 1979 ; F. Igersheim, « Strasbourg capitale du Reichsland : le gouvernement de la cité et la politique municipale », Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, sous la dir. de G. Livet et F. Rapp, IV, 1982, livre III, p. 197-266 ; renseignements fournis par Madame S. Barot, archiviste des Archives municipales du Havre.

François Igersheim (1992)