Skip to main content

JERRIHANS (VELDENZ) Georges Jean

Comte palatin du Rhin, duc de Bavière, comte de Veldenz et de La Petite-Pierre. En allemand, il signait Georg Hanns ; en français George Jehan (★ château de Grafenstein près de Merzalben, Palatinat 11.4.1543 † château de La Petite-Pierre 8.4.1592, enterré dans la crypte de l’église de La Petite-Pierre).

Fils du comte palatin Robert de Veldenz (★ Zweibrücken 1504 † château de Grafenstein 27.7.1544, enterré dans la crypte de l’Alexanderkirche, Zweibrücken) et de la comtesse Ursula (★ vers 1515 † 1601, enterrée dans l’église de Marienthal près de Rockenhausen, Palatinat), fille de Jean VII, Wild- et Rhingrave de Dhaun-Kyrburg et d’Anne comtesse d’Isemburg-Ronnenburg-Kelsterbach Stockholm 12.12.1562 Anna Maria (★ 1545 † Lauterecken 1610, enterrée dans la crypte de l’église du Remigiusberg près Kusel, Palatinat), fille du roi de Suède Gustave Ier Vasa (★ 1496 † 1560) et de Marguerite de Lejonhufvud ; 5 fils et 7 filles dont George Gustave (★ 1564 † 1634) comte palatin de Veldenz et Lauterecken, Jean Auguste (★ 1575 † 1611) comte palatin de La Petite-Pierre, George Jean II (★ 1586 † 1564) comte palatin de Veldenz et de La Petite-Pierre, Anna Margarete (★ 1571 t 1621) ? Richard comte palatin de Simmern, Ursula (★ 1572 † 1635) Louis III, duc de Wurtemberg ; Leopold Ludwig (★ Rothau 1625 † Strasbourg 1694), petit-fils de Georges Jean, est le dernier comte palatin de Veldenz.).

Georges Jean, familièrement surnommé Jerrihans par ses sujets, fut un personnage étonnant, au destin tragique, dont le souvenir reste bien vivant dans l’imaginaire des habitants du comté de La Petite-Pierre et alentour. Il fit partie de la famille des Wittelsbach. Ses contemporains le surnommèrent Georges Jean l’ingénieux (Ingeniosus, Ingeniorhanjorg) plutôt par dérision, tant ses utopies paraissaient extravagantes. Cette optique change avec les historiens du XXe siècle qui le reconnaissent comme Georges Jean le Perspicace (Georg Johann der Scharfsinnige).Le père de Georges Jean fut Ruprecht de Veldenz, frère du duc de Deux-Ponts Ludwig II. Ce dernier décéda d’alcoolisme en 1532, âgé de trente ans. Ruprecht prit en charge les affaires du duché de Deux-Ponts et devint tuteur de Wolfgang, seul fils de Ludwig, âgé de six ans. Ruprecht se révéla excellent gestionnaire, poursuivit l’introduction de la Réforme dans le duché de Deux-Ponts, et lorsqu’en 1537 décéda Georg, dernier frère de Ruprecht, la maison de Deux-Ponts se réduisit au seul Wolfgang et à Ruprecht. Ce dernier se maria avec Ursula de Dhaun-Kyrburg et Georges Jean naquit au château de Grafenstein le 11 avril 1543. Pour bons services rendus au duché de Deux-Ponts, Wolfgang signa le contrat de Marbourg (1543) qui attribua à Ruprecht le comté de Veldenz et celui de Lauterecken, près de Kusel. Ruprecht décéda l’année suivante et Wolfgang devint tuteur du jeune Georges Jean. Il envoya Georges Jean continuer ses études à l’université de Heidelberg où se révèle son intelligence (heller Kopf). Le 20 décembre 1557, Georges Jean fut élu pour un an Rector Magnificentissimus de l’université de Heidelberg, le premier ex augusta familia palatina. Il signa, à la demande du prince électeur Ott Heinrich, un nouveau règlement qui engageait l’université sur la voie de la Réforme et de l’humanisme. Suivirent des voyages en France, en Allemagne, en Pologne, au Danemark et en Suède. À la cour de Catherine de Médicis, Georges Jean fit la connaissance du duc d’Anjou, futur Henri III et roi de France de 1574 à 1589, avec lequel il correspondit sa vie durant. Il découvrit aussi l’antagonisme entre catholiques et protestants qui conduisit aux guerres de Religion à partir de 1562. En Suède, Georges Jean rencontra Anna Maria Vasa, fille du roi de Suède Gustave 1er Vasa. Leur mariage fut célébré à Stockholm le 12 décembre 1562. Ce mariage fut le premier d’une longue série d’alliances entre les maisons Wittelsbach et Vasa.

Georges Jean prit à cœur la politique étrangère de la Suède, notamment la question du duché de Livonie (Estonie et Lettonie), sous protection de la Suède, mais envahi en 1558 par le tsar Ivan IV le Terrible. Georges Jean proposa de restaurer la puissance de la Hanse en la dotant d’une flotte impériale qui purgerait la mer du Nord et la Baltique de ses pirates et pourrait venir en aide aux chevaliers Porte-Glaive, administrateurs de la Livonie et reconquérir ainsi le duché occupé au profit de son beau-frère, le roi Eric XIV, qui succéda à Gustave Ier Vasa en 1560. Georges Jean se proposa d’être l’amiral de cette flotte impériale. La proposition resta sans suite. Georges Jean rêva aussi de poursuivre l’exploration de la mer Blanche, commencée par le navigateur écossais Richard Chancellor, disparu en 1556, et de rechercher le passage Nord-Est vers la Chine par l’océan Glacial arctique. Georges Jean, de par ses liens avec la couronne de Suède, eut sans doute des visées sur la couronne de Pologne, devenue élective en 1572, et qui passa ainsi à Henri de Valois puis à Étienne Bathory, avant de revenir à son neveu Sigismond Vasa en 1587. Dans une lettre au roi de France Henri III, Georges Jean proposa quelques inventions à la Léonard de Vinci, par exemple une machine pour enlever dans les airs dix personnes et 400 tonnes de matériel. Georges Jean eut pour conseiller le médecin et alchimiste Michel Toxites ©, éditeur de nombreux ouvrages de Paracelse. L’intérêt de Georges Jean pour l’alchimie complète ainsi ce portrait d’un prince de la Renaissance.

Le contrat de Heidelberg de 1553, signé au nom de Georges Jean par son tuteur Wolfgang, régla la succession du prince électeur Ott Heinrich qui décéda en 1559. Georges Jean contesta ce contrat, revendiqua le quart de cette succession et entra en conflit juridique avec le prince électeur palatin. Sans succès. Cette amère expérience conduisit Georges Jean à proposer en 1586, à la Diète de l’Empire rassemblée à Worms, un projet de réforme de la justice resté sans effet, mais qui eut le mérite de mettre en lumière le dysfonctionnement de la justice de l’Empire. La princesse Anna Maria Vasa apporta à Georges Jean une dot conséquente de 300 000 florins. En 1566, Georges Jean reçut le comté de La Petite-Pierre et le bailliage d’Einhartshausen, où il entreprit, dès 1568, la construction d’une ville nouvelle qu’il nomma Pfalzburg, (Phalsbourg) au débouché du col de Saverne. À l’aide d’un petit imprimé illustré de la gravure d’un Pfalzburg imaginaire et diffusé dans le Westrich, il lança une campagne de publicité pour sa ville nouvelle dont il comptait faire un second Nuremberg (ein zweites Nürnberg). En effet, Pfalzburg était situé au carrefour de l’axe nord-sud de la laine et des étoffes et de l’axe est-ouest du vin et du sel. La nouvelle cité était destinée à être terre d’accueil pour les protestants rejetés des cités et États catholiques voisins. Luthériens de langue et culture allemandes et calvinistes de langue et culture françaises répondirent à l’appel de Georges Jean et la cité fut dès son origine lieu de rencontre entre deux cultures et deux langues. On estime qu’elle comptait environ 1200 habitants vers 1580. La cité apparut pour la première fois sur la carte d’Alsace de 1576 de Daniel Specklin. Enfin, Georges Jean se rendit bien compte que, depuis le voyage d’Allemagne en 1552 du roi de France Henri II et la prise des évêchés de Metz, Toul et Verdun, le roi de France avait des vues sur l’Alsace et le Rhin en gravissant le col de Saverne. Pfalzburg était d’un intérêt vital pour l’Empire car la ville était une clé entre la France et l’Alsace (ein Schlüssel zwischen Frankreich und dem Elsass). Le 27 septembre 1570, l’empereur Maximilien II accorda les privilèges de deux marchés hebdomadaires et de trois foires annuelles. C’est la date officielle de fondation de Phalsbourg. Georges Jean fut à l’origine du code de La Petite-Pierre (Lützelsteiner Lands Ordnung) en vigueur jusqu’à la promulgation du Code civil en 1804. Georges Jean fut obsédé par les guerres de religion. Il œuvra pour la réconciliation entre catholiques et protestants. Ce qui lui valut le qualificatif de deutscher St. Pierre.

Georges Jean fut contraint de vendre Phalsbourg au duc de Lorraine pour la somme de 400.000 florins. Le 1eroctobre 1584, le duc de Lorraine Charles III avait versé 300 000 florins à Georges Jean gardant la possibilité de racheter Phalsbourg au bout de quatre années. En cas de non usage de cette clause, le duc de Lorraine était tenu de régler le solde de 100 000 florins. Phalsbourg passa alors au duché de Lorraine et le solde de 100 000 florins ne fut jamais versée par le duc de Lorraine. Les protestants partirent pour un second exil. En 1584, Georges Jean acheta le Ban de la Roche, développa l’industrie métallurgique et améliora le réseau routier de cette région proche du Donon qui connut une période de prospérité jusqu’en 1633, date à laquelle la guerre de Trente Ans apporta son cortège de malheurs. Avec Georges Jean, le Ban de la Roche passa au protestantisme. Parmi les réussites de Georges Jean., il faut rappeler l’installation des verriers dans son comté et de La Petite-Pierre ce qui lui valut le qualificatif de roi des verriers.

Reste à évoquer la grande idée de Georges Jean qui le hanta sa vie durant. Le comté de La Petite-Pierre fut riche de ses immenses forêts. La demande de bois était forte dans les grandes villes de l’Europe du Nord. Les nombreuses rivières qui traversent ses terres amènent Georges Jean à envisager le transport de ce produit par voie fluviale. L’idée de Georges Jean fut simple : rendre navigables ces cours d’eau et relier la Sarre et la Zorn par un canal pour ainsi accéder au Rhin et à la Moselle. Il y réfléchit dès 1571. Il fit appel en 1580 à Daniel Specklin qui jugea le projet au-dessus des sept merveilles du monde, contre l’ordonnance du monde voulue par Dieu et dépassant l’entendement. La situation politique dans les Pays-Bas donna à Georges Jean une idée pour laquelle il obtint enfin de forts soutiens. Les provinces du Nord, calvinistes, étaient regroupées dans les Provinces-Unies qui contrôlaient l’embouchure du Rhin tandis que l’Union d’Arras fédérait les provinces catholiques du Sud. Georges Jean conçut un vaste projet qui visait à relier la Moselle à la Meuse et celle-ci à l’Escaut, de sorte que les marchandises transportées habituellement par le Rhin, pourraient, en passant par la Zorn, rejoindre la Sarre grâce au canal de Georges Jean, puis la Moselle et de là les Pays-Bas catholiques et ainsi éviter de transiter par la Hollande calviniste. Le 25 mars 1591, le duc Alexandre de Parme, gouverneur des provinces catholiques de Hollande, lui donna les moyens et pouvoirs de mener à bien son projet. L’archevêque de Cologne en fit de même. Charles III, duc de Lorraine, les comtes de Hanau, le comte de Nassau se montrèrent favorables au projet. L’évêque de Strasbourg donna son accord le 14 juin 1591 pour que la Zorn fût canalisée au moyen d’écluses jusqu’à Steinbourg. L’horizon semblait enfin s’éclaircir pour Georges Jean. Veldenz, mais Alexandre de Parme et Jean de Manderscheid, évêque de Strasbourg, moururent en 1592 et Georges Jean. la même année. Jerrihans était resté fidèle à sa patrie : Gottes Furcht, meines Vaterlandes Nutz und mein Ehr mir lieber soll sein als Geld (Bien plus me sont la crainte de Dieu, le service de ma Patrie et mon honneur que la fortune). Ses grands projets furent trop souvent restés lettre morte. Ce visionnaire avait été un Wittelsbach imbu de sa haute naissance, mais sans fortune, ne pouvant pas adapter les dépenses à ses revenus. Ses projets les plus durables étaient ceux qui restèrent modestes : la métallurgie à Rothau, la verrerie dans les Vosges du Nord.

Th. Gümbel, Geschichte des Fürstentums Pfalz-Veldenz, Kaiserslautern, 1900 ; P. Kittel, George Jean, par la grâce de Dieu, comte palatin du Rhin, Duc de Bavière, comte de Veldenz et de La Petite-Pierre (1543-1592), Éditions du Musée de Phalsbourg, 4e trimestre 2002 ; idem, Georg Hans, von Gottes Gnaden, Pfalzgraf bei Rhein, Herzog in Bayern, Graf zu Veldenz und Lützelstein (1543-1592), traduction en allemand de l’ouvrage précédent ; F. K. von Moser, Fragmente von dem Leben, Schicksaalen, Abentheuren und Ende Herzog Georg Hansens, Patriotisches Archiv für Deutschland. Mannheim & Leipzig, 1790 ; A. Wolbrett, « Du château d’Einhartshausen à la place forte de Vauban, Phalsbourg dans l’histoire militaire, Phalsbourg 1571-1970 », Pays d’Alsace, bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs, cahiers 70-71, Saverne, 1970 ; G. Koch, « Traduction de l’Appel de 1568 », ibidem, Saverne, 1970 ; F. Eyer, « Einhartshausen, Phalsbourg 1570-1970 »,  ibidemSaverne, 1970; G. H. Schartz, Aus der Vergangenheit von Pfalzburg, der Gründler und die Gründungszeit 1568-1584, Strasbourg, 1930 ; G. Wolfram, « Ausgewählte Aktenstücke zur Geschichte der Gründlung zu Pfalzburg », Jahrbuch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Aitertumskunde, I (20. Jahrgang, Metz, 1908), II (22. Jahrgang, Metz, 1910), III (23. Jahrgang, Metz, 1911) ; Idem, « Ein Aktenstück des Pfalzgrafen Georg Hans von Veldenz-Lützelstein zur Gründung einer deutschen Flotte », Jahrbuch des Vogesen-Clubs 26. Jahrgang, Strasbourg, 1910 ; J. H. Heck, « George Jean de Veldenz, comte de La Petite-Pierre, Fondateur de Phalsbourg », Cahiers Lorrains, n° 1, Société d’histoire et d’archéologie de la Lorraine, Metz, 1992 ; D. Leypold, Le Ban de la Roche au temps des seigneurs de Rathsamhausen et de Veldenz (1489-1630), Strasbourg, 1989.

Paul Kittel (2010)