Skip to main content

JEANJEAN Antoine

Prédicateur de la cathédrale de Strasbourg et professeur à l’Université épiscopale, (C) (★ Sélestat 2.2.1727 † Strasbourg 1.8.1790).

Fils de Louis Jeanjean et de Catherine Nass. Jeanjean est un représentant éminent du catholicisme alsacien à la veille de la Révolution française. Élève des Jésuites à Sélestat, Molsheim puis à Strasbourg, il appartient à un type de prêtres de petite origine entièrement formés dans le cadre diocésain par les maîtres de la Compagnie de Jésus. Ordonné prêtre en 1750, remarqué dès cette date par les responsables de l’administration diocésaine, le vicaire général Jean-François Riccius et le premier assesseur à l’officialité, Jean-Michel Karcher ©, de Sélestat lui aussi, il obtint, en 1753, un canonicat à la collégiale de Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg. Il commença alors à s’illustrer dans la chaire. Mais ce ne fut qu’après l’expulsion des Jésuites d’Alsace, en 1765, que la personnalité de Jeanjean apparut au premier plan. Promu docteur en théologie, il fut de ceux qui, avec François-Philippe Louis et François-Antoine Brendel © prirent, dès la rentrée de 1765, la succession des Pères dans les enseignements qu’ils dispensaient à l’Université épiscopale. Professeur d’Écriture Sainte, prédicateur à la cathédrale, supérieur du Séminaire, Jeanjean exerça désormais une influence déterminante dans le diocèse, encore renforcée à partir de 1786 lorsqu’il fut élevé à la dignité de recteur de l’Université. Comme enseignant, Jeanjean s’attacha à préserver l’héritage des Jésuites. Lui et ses collègues – à l’exception du futur évêque constitutionnel F.-A. Brendel – se montrèrent de zélés défenseurs de l’autorité du pape à l’époque du gallicanisme en France et surtout du joséphisme menaçant le diocèse de Strasbourg dans sa partie d’Outre-Rhin. Sous son influence et sous sa direction à partir de 1786, l’Université épiscopale de Strasbourg devint un des centres de résistance les plus actifs à l’Aufklärung catholique représentée à Trèves par le célèbre Febronius (Nicolas de Hontheim) et au joséphisme. Sous l’impulsion de Jeanjean et de plusieurs de ses collègues se prépara, dans les dernières années de l’Ancien Régime, le mouvement « ultramontain ». Mais Jeanjean dut sa grande renommée à son talent et à ses succès de prédicateur. Attaché à la cathédrale, il prêcha aussi dans les autres églises, dans les couvents de Strasbourg ainsi que dans les églises de villages. De son vivant, seuls quelques-uns de ses sermons furent publiés. Ainsi, ses Rathspredigten (Strasbourg, 1771), prononcées chaque année à l’occasion du renouvellement du Magistrat, ou encore des sermons de circonstance, dont le plus célèbre fut celui de 1781 pour les fêtes du centenaire du rétablissement du catholicisme à Strasbourg. Il fallut attendre le XIXesiècle pour que l’ensemble de sa prédication ordinaire fût imprimée : Predigten (Strasbourg, 1815-1867, 15 volumes). L’examen – encore à approfondir – de cette œuvre abondante révèle trois traits dominants. Il est clair, en premier lieu, que Jeanjean, à l’exemple des Jésuites, a su unir l’enseignement de haut niveau à la prédication populaire. Ses Sittenreden, en particulier, qui couvrent les quatre premiers volumes de ses œuvres complètes, étaient destinés aux simples fidèles des paroisses ou aux membres, d’origine modeste dans leur grande majorité, de la confrérie de la « Bonne Mort » de la ville. Il y montre toute sa sympathie pour le petit peuple catholique et sa connaissance profonde de ses comportements, de ses pensées les plus intimes. On ne trouve, toutefois, chez lui aucune complaisance marquée par l’esprit du temps envers ses compatriotes, artisans ou paysans. Une ferme volonté d’opposition aux Lumières dans tout ce qu’elles représentent sur le plan religieux, social ou même politique, est bien l’autre caractère de sa prédication. La soumission aux maîtres, le respect de l’ordre établi, l’obéissance furent des thèmes qu’il aborda constamment. Cela, cependant, n’était pas l’essentiel, dans son esprit. Le but de ses sermons comme de ce Gebetbuch(1786) – qu’à défaut d’avoir composé lui-même il contribua à diffuser – était de développer la vie de prière chez les catholiques. Sa prédication était donc, d’une certaine façon, en réaction contre la piété baroque considérée comme trop extérieure et superficielle. Dans la suite des grands spirituels espagnols et français des XVIe et XVIIe siècles, c’était l’homme intérieur qu’il visait à former et à consolider. C’est par ce dernier aspect que l’œuvre de Jeanjean dépasse largement son temps. Aussi imposa-t-elle sa marque au catholicisme alsacien des XIXe et XXe siècles.

Ph. A. Grandidier, Essais historiques et topographiques sur l’Église cathédrale de Strasbourg, Strasbourg, 1782, p. 205, 279 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. 1, 1909, p. 854 ; J. Gass, Strassburger Theologen im Aufklärungszeitalter (1766-1790), Strasbourg, 1917, p. 205- 213, 274-275 ; R. Epp, « Le séminaire épiscopal, le collège royal et l’université épiscopale de Strasbourg (1683-1691) », Archives de l’Église d’Alsace, XXXVII, 1974, p. 87-128 ; L. Châtellier, Tradition chrétienne et renouveau catholique dans l’ancien diocèse de Strasbourg (1650-1770), Paris, 1981, p. 464-473 ; F. Rapp et collab., Histoire du diocèse de Strasbourg, Paris, 1982, p. 85-214.

Louis Châtellier (1992)