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JANET Paul Alexandre René

Philosophe et historien des idées politiques (★ Paris 31.4.1823 † Paris 4.10.1899).

Fils de Pierre Honoré Janet, libraire et éditeur de musique à Paris. Seule la période alsacienne du célèbre membre de l’Académie des Sciences morales et politiques sera évoquée ici. Après une brillante réussite à l’agrégation du second degré (1844), il avait été le secrétaire du philosophe Victor Cousin, puis professeur au collège de Bourges. Janet était titulaire de l’agrégation des facultés depuis quelques mois lorsqu’il fut nommé en décembre 1848 à la faculté des Lettres de Strasbourg en qualité de chargé de cours. Il y était le successeur de l’abbé Bautain © qui venait d’être contraint de démissionner. Les premières impressions du jeune parisien débarquant à Strasbourg furent classiques : « Cette ville me parut une ville du Nord, un Copenhague, un Stockholm, plutôt qu’une ville française. Nous laissions à Paris… toute notre vie, et, dans ce désert où nous entrions… » En fait, Janet s’accommoda fort bien au climat strasbourgeois, surtout au climat intellectuel et si désert il y eut, sa traversée, qui dura huit années, fut particulièrement féconde. Dès la leçon d’ouverture intitulée Du rapport de la morale et de la politique, le thème des recherches de Janet était lancé ; il allait déboucher sur un des maîtres-livres qui comblait, en certains domaines jusqu’à nos jours, une lacune significative de la science politique française ; l’Histoire de la philosophie morale et politique dans l’antiquité et les temps modernes parut en 1849. Couronné de prix, l’ouvrage fut remanié et plusieurs fois réédité sous le titre Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale. L’œuvre tout entière de Janet profita grandement des traditions, des contacts et des bibliothèques strasbourgeoises : «. ..c’était un groupe studieux, vivant de recherches et de méditations, passant de la salle des cours aux bibliothèques et des archives aux laboratoires » (Georges Picot). Le nombre et la qualité des collègues qui à l’Université, au lycée ou au Gymnase effectuaient des recherches dans les domaines intéressant Janet surprend et mériterait des explications plus amples. Aux lettres, Charles Cuvier © faisait un cours public, Perspectives d’ensemble sur l’’histoire de l’humanité (1885) et un Cours d’études historiques au point de vue philosophique et chrétien qui parut en 6 volumes (1859 et 1880). En théologie protestante, Joseph Willm © venait de faire connaître à la France les systèmes philosophiques allemands et son successeur Chrétien Bartholmess © est l’auteur d’une Histoire des doctrines religieuses de la philosophie moderne, travail dont Janet fit un compte rendu dans le Courrier du Bas-Rhin (15 décembre 1855). De même au lycée, ses amis Jules Zeller ©, futur recteur de Strasbourg et de Dijon, qui débutait ses recherches sur l’histoire d’Allemagne ou Denis, futur recteur de Caen, auteur d’un ouvrage au titre étonnamment voisin de celui de Janet : Histoire morale de l’Antiquité, nageaient dans les mêmes eaux. Enfin au Gymnase protestant un disciple, Émile Grucker ©, qui fut lui aussi secrétaire de Victor Cousin et qui fit une belle carrière à Poitiers et à Nancy, fut l’auteur renommé, entre autres, d’une Histoire des doctrines littéraires et esthétiques en Allemagne (1883 et 1896). Paradoxalement, ce sont pourtant les liens institutionnels avec la faculté de Droit qui semblent avoir plus particulièrement motivé les recherches de Janet et de ses collègues « littéraires ».

Si les cours de Janet n’étaient en effet suivis que par quatre aspirants à la licence de lettres de sa faculté, il pouvait dénombrer une soixantaine d’étudiants en droit qui, pour pouvoir se présenter à leurs examens propres, devaient fournir un certificat d’assiduité à la faculté des Lettres. Le doyen Arnold © et ses successeurs avaient en effet su maintenir et continuer au XIXe siècle les cours de sciences politiques qui depuis le XVIe siècle faisaient la réputation de la faculté de Droit, une exclusivité strasbourgeoise en France, jusqu’en 1870. De même, Charles Adolphe Beudant © que Janet connaissait bien y enseignait les fondements philosophiques et économiques du droit, discipline qu’il introduisit plus tard à la faculté de Droit de Paris dont il devint le doyen. Janet fréquentait également Pasteur © : « Je le vis assez souvent, et je puis dire que je lui dois le peu de culture scientifique que je puis avoir et au moins le goût des idées et des méthodes scientifiques ». Les rapports avec le médecin David Richard ©, qui avait introduit à Stephansfeld des réformes humanitaires dans le traitement psychiatrique, est à l’origine d’un article de Janet dans la Revue des Deux Mondes, et peut-être aussi de l’exceptionnelle carrière du philosophe-neurologue et psychologue, Pierre Janet (1859-1947), auquel on a reconnu une certaine antériorité par rapport à Freud dans le domaine de la psychanalyse, et dont on prétend que c’est son oncle Paul Janet qui l’aurait orienté vers la philosophie. En 1857, Janet retourna à Paris où il poursuivit une carrière qui l’amena aux plus grands honneurs. La rue qui porte son nom à Strasbourg se situe à un endroit, à l’époque hors de la ville, où l’entraînaient ses promenades d’après les cours avec son ami Émile Grucker. Son fils Paul André Marie (1863-1937), éminent mathématicien, fut un collaborateur de la Revue d’Alsace (1893, p. 314-318).

On ne citera ici que les ouvrages et études de la période strasbourgeoise : Du rapport de la morale et de la politique, La Liberté de penser du 15 mai 1849 (leçon d’ouverture) ; Introduction à un cours de morale et de théodicée. Leçon d’ouverture 18 novembre 1854,Strasbourg, 1854 ; « De la philosophie de Kant », Revue critique de législation et de jurisprudence, Paris, janvier 1855 ; La famille. Leçons de philosophie morale, Paris, 1855, plusieurs rééd. et trad. en italien, portugais, suédois ; « Stephansfeld. Des caractères et du traitement de la folie », Revue des Deux Mondes du 15 mars 1857 ; Histoire de la philosophie morale et politique dans l’Antiquité et les temps modernes, Paris, 1858, 2 vol., devenu dès la 2e éd. Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, Paris, 1872, 4e éd. 1913.

G. Picot, « Notice historique sur la vie et les travaux de M. Paul Janet, lue le 6. Décembre 1902 » Mémoires de l’Académie des Sciences morales et politiques de l’Institut de France, XXIV, Paris, 1904, p. 273-316 ; Chr. Pfister, « Professeurs d’autrefois : Paul Janet », L’Alsace française, VI, n° 139, d 25 août 1923 ; Dictionnaire de biographie française, XVIII, 1990, 422 (erreur : Janet ne s’est pas marié à Strasbourg où il arriva accompagné de son épouse).

† Marcel Thomann (1992)