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GUSDORF Georges

Philosophe, universitaire, (Pr) (* Bordeaux 10.4.1912 † Pyla-sur-Mer, Gironde 17.10.2000). Fils de Paul Gusdorf, commerçant, juif déporté et mort à Auschwitz, et de Marthe Sturm, protestante, les deux originaires de Braunschweig (Allemagne) et installés en France depuis le début du siècle; ∞ 31.12.1948 Simone Lebreton, agrégée de lettres classiques, qui deviendra directrice d’études à l’École normale protestante de garçons. Avec ses trois sœurs, il a été élevé dans la communauté protestante de Bordeaux: catéchisme, scoutisme, fédération des étudiants protestants. Il fit sa khâgne au lycée de Bordeaux, puis l’ENS, rue d’Ulm. Reçu à l’agrégation en 1939, après deux échecs et un an de retraite à Poitiers, où il employa sa solitude à écrire en toute spontanéité, «sans préméditation». Il n’eut pas le temps d’enseigner dans un lycée. À la suite d’un stage de 6 mois à l’École de Saint-Maixent, il fut tout de suite mobilisé, comme sous-lieutenant d’infanterie, sur le front des Ardennes et en Lorraine. Son régiment fut «défait» dans le Loiret. Commencèrent alors 5 ans de captivité «au fond des Allemagnes», en Silésie, à Wahlstatt, puis dans un Sonderlager à Lubeck. Dans ces camps d’officiers français, il contribua à créer et animer une université «libre». Expérience fraternelle décisive de sa propre liberté de penser et de juger. De retour à Paris, il eut la chance que lui fût réservé le poste d’agrégé répétiteur de philosophie (caïman) à l’École normale. Il fut orphelin de son père qui, stigmatisé par le régime de Vichy comme «juif apatride», fut déporté et mourut à Auschwitz. Il passa sa thèse en 1948, en présentant deux ouvrages qu’il avait médités, élaborés même, en captivité: La découverte de soi et L’expérience humaine du sacrifice. Premier poste, à la rentrée, comme maître de conférences titulaire de la chaire de philosophie générale et de logique, à l’université de Strasbourg, où il succède à Georges Canguilhem ©. Gusdorf resta attaché à son poste «strasbourgeois» jusqu’en 1974, avec une seule infidélité : en octobre 1968 il avait «cherché refuge» au Canada, à l’Université Laval de Québec, ayant très mal toléré la folie, la «Pentecôte sans l’Esprit saint» du mois de mai. Désireux de se consacrer entièrement à l’écriture, il prit sa retraite, anticipée, à 62 ans, heureux aussi de pouvoir accepter des propositions de séjour à l’étranger (universités de Rio de Janeiro, d’Austin, au Texas, de Montréal) et de continuer ses conférences pour l’Alliance française.

L’œuvre philosophique qu’il a produite au sein de l’université et en dehors est impressionnante. Plus de 30 volumes, dont la plupart fort épais, chez une dizaine d’éditeurs. Nous y distinguerons trois composantes. D’abord, l’éthique (au sens le plus élevé, comme chez Spinoza), depuis les 1ers écrits de doctorat (1948) jusqu’aux 2 tomes de Lignes de vie, Les écritures du moi et Auto-bio-graphie (1991). Il s’agit là essentiellement d’enseigner «le bon usage de la vie» ou la vertu, «la vertu de force», dans le monde concret, humain, historique, «subjectif» (die Lebenswelt). Son Traité de métaphysique (1956) était surtout un ambitieux «tour d’horizon des visions du monde», mais ce qu’il visait dès ces années-là, c’était plutôt ce qu’il appela une «métahumanité». Ce mot alambiqué, qui ne passera pas la rampe, dit du moins le sens de sa deuxième entreprise: l’aventure solitaire de cette monumentale (en 14 volumes) «histoire des sciences humaines et de la pensée occidentale». S’étant donné pour maître Kierkegaard, il n’aimait pas Hegel. Il y a pourtant de l’hégélianisme dans une exploration aussi encyclopédique du «devenir culturel de la conscience constitutive de l’homme européen». La 3e composante comprend les écrits polémiques, voire pamphlétaires, sur l’enseignement (Pourquoi des professeurs? 1963), l’Alma Mater (L’université en question, 1964), les extravagances estudiantines (La Pentecôte sans l’Esprit saint, 1970), et différents petits textes de circonstance et d’humeur (comme «La grande maladie du baccalauréat», 1964). À ces pamphlets se mêle de l’utopie: des propositions (impertinentes!) pour «décoloniser» les universités, réformer les enseignements, de manière à les faire revenir à leur essence, leur sens authentique que seule la philosophie peut dire.

Tel quel, avec son œuvre abondante, inachevée sans doute, mais bien dessinée, G. Gusdorfest un des trois grands philosophes français protestants du XXee siècle, à côté de Jacques Ellul et de Paul Ricoeur ©. Ses manuscrits (avec toutes ses notes, des inédits et un journal) sont conservés à Paris à la Bibliothèque Nationale de France.

Œuvres: La découverte de soi, 1948; L’expérience humaine du sacrifice, 1948; Traité de l’existence morale, 1949; Mémoire et personne, 1951; Mythe et métaphysique, 1953, réédition, précédée d’une «Rétractation», en 1983, éd. Flammarion); La parole, 1953; Traité de métaphysique, 1956; Science et foi au milieu du XXe siècle, 1956; La vertu de force, 1957; Introduction aux sciences humaines, 1960; Dialogue avec le médecin, 1962; Signification humaine de la liberté, 1962; Pourquoi des professeurs?, 1963; Kierkegaard, 1963; L’université en question, 1964; Les sciences de l’homme sont-elles des sciences humaines?, 1967; La Pentecôte sans l’Esprit saint, 1969; Les sciences humaines et la pensée occidentale (14 tomes, entre 1966 et 1986, éd. Payot); Lignes de vie: t.1 Les Écritures du moi, t.2 Auto-bio-graphie, 1991, éd. Odile Jacob; Le crépuscule des illusions, Mémoires intempestifs, 2002; Publications à l’étranger: From metaphysics to Metahumanity, 1967, Albany, New York; A agonia de nossa civilizaçâo, 1978, éd.Convivio, Sao Paulo.

Écrits sur Gusdorf : Notice de Rémi Hess dans le Dictionnaire des philosophes, Paris, 1984; «Georges Gusdorf et Strasbourg», article de J.-P. Sorg dans Élan, revue du FEC, Strasbourg, 2etrim. 2001, et du même, «Mémoires d’un philosophe protestant», dans Le Ralliement protestant, Mulhouse, février 2003; Le mythe dans la pensée de Gusdorf, thèse de Pierre N’zonzi, soutenue en 2003 à Nanterre.

Jean-Paul Sorg (2010)