Journaliste, homme politique, (I) (* Hattstatt 6.1.1884 d. Neuilly-sur-Seine 13.7.1952). Fils de Jacques Grumbach, marchand de fromage, et de Henriette Judas, modiste. ∞ Vally Marguerite Groedel. Dès ses études secondaires à la Realschule de Colmar, il se fit remarquer en écrivant des vers. De juillet à octobre 1902, il collabora à la revue Der Stürmer, animée par René Schickelé ©: il y publia des poèmes, des nouvelles et des articles de critique sur des traductions allemandes de Baudelaire et de Verlaine. Cette même année, il adhéra au Parti social-démocrate et tenta de convertir son ami Otto Flake © au marxisme. De 1904 à 1907, il fut rédacteur au quotidien Die Volksstimme à Francfort; il intervint aussi à plusieurs reprises dans le débat sur l’avenir politique et culturel du Reichsland, en prenant position pour une constitution républicaine de type français dans le cadre allemand. En 1908, il devint correspondant de la presse socialiste allemande à Paris. Ses articles furent régulièrement publiés dès lors par le Vorwärts de Berlin, la Freie Presse de Strasbourg, la Mülhauser Volkszeitung, ainsi que par l’Humanité de Paris. Il noua de solides relations avec les dirigeants de la SFIO, ainsi qu’avec les réfugiés russes. Mandataire du parti allemand à Paris, il fonda pour les travailleurs de langue allemande résidant dans la capitale un Club de lecture. Il continua pourtant de participer à la vie politique alsacienne. Il fut l’un des seuls militants d’origine alsacienne à approuver la Constitution de 1911.
À Colmar, il était devenu le mentor de Charles Hindelang ©, leader de la section socialiste, dont il fit l’un des pôles du révisionnisme en Alsace, constamment en lutte contre les marxistes orthodoxes de Mulhouse et contre le Strasbourgeois Boehle ©. Il poussa les Colmariens à adopter la tactique électorale du «Grossblock», c’est-à-dire de l’alliance avec les partis «bourgeois» noncléricaux, proches de l’administration allemande. Tant dans les congrès du SPD (Iena 1911, Chemnitz 1912) auxquels il participa, qu’au cours des rencontres franco-allemandes (Bussang 1911, Berne 1913) qu’il contribua à organiser, Grumbach attaqua à la fois le pangermanisme dans le Reich et le nationalisme francophile en Alsace-Lorraine.Il s’attira la haine des journaux cléricaux de Colmar et de Strasbourg, qui l’accusèrent d’espionner pour le compte du sous-secrétaire d’État Mandel les activités de Wetterlé © en France. Le 5 juillet 1914, au congrès régional de Strasbourg, il rappela l’attachement des socialistes alsaciens à la revendication de l’autonomie républicaine de l’Alsace-Lorraine, base d’un rapprochement franco-allemand et du maintien de la paix. Du 24 au 30 juillet, il prit la parole dans des manifestations pacifistes en Prusse rhénane. Rentré à Paris le31 juillet, il décida de ne pas répondre à l’ordre de mobilisation allemande. Le 5 août, il publia au nom du Club de lecture allemand un texte souhaitant la victoire de la France, qui permettrait l’établissement de la République en Allemagne. A la fin du mois d’août, il partit pour Berne, où il établit son bureau à la rédaction de la Berner Tagwacht. À partir du 23 novembre, L’Humanité publia régulièrement ses correspondances signées «Homo». À l’été de 1915, il publia une brochure dédiée à la mémoire de Jaurès. Il s’y prononçait pour l’auto-détermination de l’Alsace-Lorraine en affirmant sa certitude que le peuple se prononcerait pour la France en raison de la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre. Ainsi se précisait sa rupture avec la direction du SPD et une certaine convergence avec des minoritaires comme Kautsky et Bernstein. Il avait souvent rencontré Lénine et Trotsky, mais condamna en 1917 la complicité des bolcheviks avec l’État-Major allemand. Dès 1915, les majoritaires allemands, l’extrême-gauche française et les socialistes suisses le considérèrent comme un agent de l’Entente. Le 27 octobre 1918 à Berne, lors d’une conférence des associations d’Alsaciens-Lorrains en Suisse, il rédigea un manifeste adopté à l’unanimité exprimant la volonté commune du retour à la France. Il rappela pourtant, à titre personnel, qu’un plébiscite interdirait dans l’avenir à l’Allemagne de remettre en question la souveraineté française. Il revint à Colmar le 8 janvier 1919, puis se rendit à Paris pour préparer la conférence internationale socialiste de Berne. Il participa à cette réunion (3-10 février 1919) comme délégué du parti socialiste de Haute-Alsace, puisque ses camarades strasbourgeois lui avaient dénié le droit de représenter l’ensemble des socialistes alsaciens.Il dressa un sévère réquisitoire contre l’attitude des sociaux-démocrates majoritaires pendant la guerre et à l’assemblée de Weimar. Il maintint sa revendication du plébiscite en Alsace-Lorraine, mais admit que les premières élections au Parlement français pourraient en tenir lieu, comme les élections au Reichstag en 1874 avaient exprimé le refus d’appartenir à l’Allemagne. Dès ce moment, il se rangea à l’aile droite du parti socialiste SFIO et dénonça l’absence de démocratie en Russie soviétique. En ce qui concerne l’Alsace-Lorraine, il se prononça contre les méthodes brutales de l’administration militaire, contre la privatisation des chemins de fer, contre l’expulsion des immigrés d’outre-Rhin et celle d’Alsaciens comme Ricklin © ou Kuntz ©. Il condamnait aussi les projets d’annexion de la rive gauche du Rhin, de la Sarre et du port de Kehl. Au congrès socialiste de Paris (20-22 avril 1919), il défendit une motion critiquant l’attitude française aux négociations de paix et exprimant sa confiance à la future Société des nations. En août 1919, la conférence de Lucerne l’élit président de la commission internationale de la presse socialiste.Il siégea à la Commission administrative permanente de la SFIO comme suppléant (1920-1922), puis comme titulaire (1923-1925, 1926-1940). Aux congrès de Strasbourg (février 1920) et de Tours (décembre 1920), il prit vigoureusement position contre l’adhésion à l’Internationale communiste. L’extrême-gauche l’accusa d’avoir collaboré avec le préfet pour briser la grève des métallurgistes de la Moselle (31 mars 1920). Domicilié dans une belle villa à Ville-d’Avray (Seine-et-Oise) depuis le 1eroctobre 1919, rédacteur spécialiste de politique internationale à l’Humanité, puis au Populaire, ainsi que dans d’autres journaux de gauche comme le Quotidien ou la Lumière, il suivit toutes les grandes conférences internationales de l’après-guerre, tout en siégeant dans la délégation française, aux conférences socialistes internationales et y servant souvent d’interprète.
Il séjourna souvent à Berlin et assista aux congrès de l’USPD, puis du SPD. De 1930 à1933, il fut secrétaire de la commission internationale de la SFIO. Fervent défenseur de la SDN, militant du rapprochement de la France avec la République de Weimar, il préconisa souvent la révision du traité de Versailles et, même, des abandons de souveraineté de la part de la France. Très attentif au danger nazi dès 1931, il réclama une politique de fermeté face au IIIeReich, dont il affirmait dès 1933 qu’il préparait la guerre. C’est pourquoi il fut l’un des plus ardents défenseurs du pacte franco-soviétique de 1935. Il blâma la politique de non-intervention dans la guerre civile d’Espagne adoptée par Léon Blum et se prononça contre les accords de Munich en1938. Avec sa femme, il fut l’un des fondateurs des Amis de l’enfance ouvrière (Faucons rouges) en 1932 et il joua un rôle très important dans l’accueil des réfugiés allemands à partir de 1933 dans le cadre de la commission d’immigration de la SFIO et du Bureau international pour le respect du droit d’asile. En 1939, il intervint pour la défense des réfugiés espagnols et protesta contre l’internement par le gouvernement Daladier des antifascistes allemands. Dans la SFIO, il appartenait à la tendance de droite «réformiste». Il collaborait à la Vie socialiste et se prononça très tôt pour le vote des crédits militaires et la participation des socialistes aux gouvernements de gauche. Cependant, à la différence de son ami Renaudel, le 5 novembre 1933, il ne fut pas exclu du parti et ne suivit pas les dissidents dans la scission néo-socialiste.
Il avait été élu conseiller général de Sainte-Marie-aux-Mines le 14 décembre 1919, il fut réélu après invalidation de son élection en 1920, mais fut battu en 1922. Il figura sur les listes socialistes du Haut-Rhin aux élections législatives de 1919 et1924, mais ne devint député de Mulhouse qu’en1928 à la faveur d’un ballotage triangulaire. Très peu présent dans sa circonscription, farouche adversaire de l’autonomisme, il fut battu en 1932 au second tour par Wallach ©. En 1936, il revint à la Chambre comme député de Castres (Tarn). Il fut vice-président de la Commission des Affaires étrangères de 1928 à 1932 et de 1936 à1940. Il fut aussi conseiller technique, puis membre de la délégation française à la SDN (1933-1939). Le 21 juin 1940, avec 26 autres parlementaires, il s’embarqua à Bordeaux sur le Massilia pour le Maroc. À son retour en métropole (1er août 1940), il aurait habité Guitalens (Tarn), puis le gouvernement de Vichy le fit interner à Pellevoisin (Indre) le 26 août 1940, puis à Vals (Ardèche) le 31 décembre 1940. En mai 1941, il fut placé en résidence surveillée à Mendes, puis à Cassagnas (Lozère) à l’écart du village à partir de février 1944, il échappa à l’arrestation par les SS le 28 février 1944. Sans contact avec l’appareil clandestin de son parti pendant l’occupation, il siégea au comité directeur de la S.F.I.O. et à son comité d’études des affaires internationales à partir de novembre 1944. Membre du comité d’entente socialo-communiste (1944-1946), il prit une attitude résolument unitaire tout en refusant la fusion du parti socialiste avec l’Union démocratique et socialiste de la Résistance sur une base travailliste. En avril 1945, il se prononça contrela poursuite de la participation des socialistes au gouvernement du général de Gaulle ©, dont il désapprouvait la politique étrangère. Le 4 septembre 1946, son ralliement fut déterminant pour l’élection de Guy Mollet au secrétariat général du parti. Député du Tarn à la première Assemblée constituante (octobre 1945 – mai 1946), il présida la commission des Affaires étrangères et une commission d’enquête en Allemagne et en Autriche occupées. À la suite d’un conflit avec la fédération socialiste du Tarn, sa candidature ne fut pas retenue pour les élections à la deuxième Assemblée constituante. De décembre 1946 à novembre 1948, élu par l’Assemblée nationale, il siégea au Conseil de la République, dont il présida la commission des Affaires étrangères. Il fut vainement candidat aux élections sénatoriales en 1952. Il fut aussi membre de la délégation française à l’assemblée générale des Nations unies. Dès 1944, il s’était prononcé contre tout démembrement territorial de l’Allemagne, et notamment contre les projets d’annexion de la Sarre et de la Rhénanie par la France. Mais il jugeait alors nécessaire un contrôle international prolongé de l’Allemagne, car il estimait nécessaire une période de 30 à 50 ans pour en faire un pays pacifique. À partir de 1948, il soutint les projets d’intégration de l’Allemagne occidentale dans une Europe unie, mais s’opposa de 1950 à sa mort à tout réarmement allemand, y compris dans le cadre de la Communauté européenne de défense. Il craignait qu’elle n’empêchât la démocratisation de l’Allemagne, qu’elle supprimât les chances de réconciliation avec l’URSS et qu’elle ne perpétuât la division de l’ancien Reich. Il avait repris contact avec les sociaux-démocrates allemands dès 1945et il obtint en 1947 l’intégration du SPD dans le COMISCO, prélude à la reconstitution de l’Internationale socialiste. Il avait mené campagne en1948 pour la reconnaissance de l’État d’Israël. Il participa aux activités du Congrès juif mondial et fut secrétaire général du comité exécutif mondial de l’Organisation pour la reconstruction et le travail. Il ne semble pas avoir appartenu à la franc-maçonnerie. Membre du comité central de la Ligue des droits de l’homme depuis les années vingt, il s’attacha surtout à l’introduction des lois laïques en Alsace-Moselle et au statut des étrangers.
Le destin de l’Alsace-Lorraine. Discours d’un socialiste alsacien à deux nations, Neuchâtel, 1915 (éd. allemande, Neuchâtel, 1915); L’erreur de Zimmerwald-Kiental, Paris, 1916 (éd. allemande, Berne, 1916); L’Allemagne annexionniste, Lausanne, 1917 (éd. allemande, Lausanne, 1917; éd. anglaise, London, 1917); Das Misstrauen (Republikanische Bibliothek I; politische Broschüren herausgegeben von S.G.), Lausanne, 1918; Die Schuldfrage, 1918; Brest-Litowsk, Lénine-Trotsky et Hindenburg-Ludendorft, Lausanne, Paris, 1918; Elsass-Lothringenvor der internationale Sozialistenkonferenz von Bern (éd.), 1919. Très nombreux articles dans Der Stürmer, 1902, Die Volksstimme, Frankfurt a/M., 1904-1907, Freie Presse, Strasbourg, 1908-1914, 1918-1939; Mülhauser Volkszeitung, 1908-1914; Vorwärts, Berlin, 1908-1914; L’Humanité, Paris, 1908-1920 (pendant la guerre sous le pseudonyme d’Homo); Der Republikaner, Mulhouse, 1918-1940; Le Populaire de Paris, 1919-1940,1944-1952; La vie socialiste, Paris, 1920-1933; Berner Tagwacht, 1914-1915, etc. Ses interventions au cours des congrès du SPD et de la SFIO sont publiées dans Protokoll über die Verhandlungen des Parteitagesder SPD, 1911, 1912, Berlin, 1911, 1912; Congrès national du parti socialiste (SFIO). – … Compte rendu sténographique, 1919-1951. Journal officiel, Débats parlementaires, Chambre des Députés, 1928-1932, 1939-1940, Assemblée constituante, 1945-1946, Conseil de la République, 1947-1948.
Archives nationales, Paris, F7 13069, 13070, 13578; AJ 30 170, 232; Archives départementales du Bas-Rhin, AL 98, 634, 639, 640, 661, 665, 674, 1283; Archives fédérales, Berne, E 21, E 2001; Archives cantonales, Berne BB 4.1.; Institut international d’histoire sociale, Amsterdam, Sozialistische Arbeiterinternationale, 1599. La plupart des ouvrages (et des mémoires) traitant de l’histoire du socialisme démocratique français et international citent Grumbach. Nous nous bornons à indiquer ici les principales notices biographiques: Compère-Morel, Grand dictionnaire socialiste du mouvement politique et économique national et international, 1924; Dictionnaire biographique français des contemporains Pharos, t. 1, 1950; Le Monde du 15 et 19.7.1952 ; Républicain du Haut-Rhin du 16.7.1952 (Jean Wagner); Presse Libre du 16.7.1952; Vorwärts, Bonn, du 18.7.1952; Jolly, dir., Dictionnaire des Parlementaires français 1889-1940, V, 1968, 1894-1895; Encyclopaedia judaica, 7, Jérusalem, 1971, c. 948; Dictionnaire de la politique (Coston), II, 1972; IV, 1985; Le Congrès de Tours, édition critique, 1980, p. 826, François Igersheim, L’Alsace des notables, 1870-1914, Strasbourg, 1981, p. 254-255; Encyclopédie de l’Alsace, VI, 1984, 3534; Dictionnaire de biographie française, XVI, 1985, 1378; R. Stübling, «Salomon Grumbach, ein Elsässer in Frankfurt», Frankfurt und Frankreich. Eine Dokumentation politischer Beziehungen 1871 bis 1986, dir. par F. König et R. Stübling, Frankfurt/M.,1986, p. 74-78; Maitron, dir., Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, 30, p. 336-337.
Léon Strauss et Jean-Claude Richez (1989)