Skip to main content

FISCHER Adèle, Mère Eutropie

Supérieure générale des Sœurs enseignantes de la Divine Providence de Ribeauvillé de 1856 à 1884. (★ Reichshoffen, Bas-Rhin, 9.12.1814 † 26.2.1884). Née dans une famille modeste, qui alla s’établir à Marckolsheim, elle y fit ses classes primaires. A dix-huit ans, elle entra au noviciat du couvent de Ribeauvillé et y reçut une formation religieuse et pédagogique sous la direction de l’abbé Ignace Mertian, supérieur ecclésiastique. Elle en fut la secrétaire et l’aide administrative, parfois la remplaçante. Après sa profession religieuse en 1834, chargée de la formation des postulantes au couvent, maîtresse de littérature au pensionnat Sainte-Marie, directrice de l’école des filles de la ville, maîtresse de pédagogie au cours supérieur du noviciat au couvent, elle eut partout la renommée d’une femme d’ordre et de méthode, de rigoureuse discipline et d’un enseignement clair et adapté. En 1852, elle fut nommée supérieure et directrice du pensionnat de la Providence à Strasbourg, où elle donna une impulsion nouvelle à l’école du pensionnat et aux écoles paroissiales adjacentes. Elle réorganisa la communauté des sœurs, qui avait vécu le schisme de plusieurs religieuses quittant l’Association pour aller fonder, au Neudorf, une institution religieuse d’ordonnance plus sévère, les Sœurs de l’Enfant Jésus, dirigée par le chanoine J.-B. Fritsch et dissoute cinquante ans plus tard par l’évêque de Strasbourg. Le 10 octobre 1856, elle fut élue supérieure générale. Le 26 avril 1869 un décret d’approbation pontificale de Pie IX transforma l’Institut en Congrégation à vœux simples, gouvernée par la supérieure générale et non plus par le délégué de l’évêque. Ce n’est qu’en 1900 que Léon XIII autorisa les congrégations féminines à vœux simples dans l’Église en publiant «Condile a Christo». De l’aveu du père Freyd, supérieur du Séminaire français à Rome, notre congrégation a été la première dans l’Église à obtenir l’approbation pontificale. Mère Eutropie connut les difficultés du Kulturkampf qui suivit l’annexion de l’Alsace par le traité de Francfort. L’ordonnance du 18 avril 1871, signée par le comte de Bismarck-Bohlen, chancelier de l’Empire à Strasbourg, rendit l’enseignement obligatoire, exigea que les maîtres soient brevetés et travaillent selon les programmes publics imposés. Or les Sœurs de Ribeauvillé enseignaient sous le couvert d’une lettre d’obédience signée par la supérieure générale, que le gouvernement français avait reconnue. Leurs manuels et méthodes étaient ceux qu’avait composés l’abbé Mertian. L’ordonnance du 30 décembre 1871, pour l’Alsace-Lorraine, stipulait que le droit d’inspection des écoles privées, réservé aux supérieures de congrégation et aux ecclésiastiques, était dévolu exclusivement au président du district, qui nommera les inspecteurs. Le Schulaufsichtsgesetz du 8 mars 1872 donnait à l’État le droit unique à l’éducation et à l’enseignement. Son décret d’application, loi sur l’enseignement ordonnée par l’empereur avec l’assentiment du Conseil fédéral pour l’Alsace-Lorraine, du 12 février 1873, ordonnait que seules les autorités administratives pouvaient autoriser à enseigner, à ouvrir une école, à nommer un maître à un poste, toutes prérogatives de la supérieure générale jusque-là. Par ailleurs, les nouveaux inspecteurs commençaient à établir la mixité dans les petites écoles et à renvoyer les sœurs qui la refusaient sur ordre de la supérieure générale. Mère Eutropie savait que, selon la loi d’Empire du 19 juin 1874, expulsant les religieuses des écoles, sa congrégation serait tôt ou tard supprimée en Alsace. En attendant, elle allait lutter vigoureusement sur trois fronts: elle refusait toute mixité dans les classes des sœurs et acceptait les nombreux renvois de celles-ci. Elle se défendait contre l’exigence des examens publics pour les sœurs et luttait pour le maintien des libertés de ses écoles: le droit de nomination des sœurs aux écoles ouvertes par elle-même; le droit d’établir la lettre d’obédience les autorisant à enseigner; le choix des programmes, horaires, manuels. De cette lutte ardue et longue entre partenaires trop différents de puissance, la congrégation sortit battue. En 1880, l’État prussien contrôlait par examen les connaissances de toutes les maîtresses religieuses et leur pédagogie pratique dans les classes inspectées; aucune nomination de sœurs ne se faisait plus sans le consentement écrit et dûment notifié par le Kreisdirektor; l’État imposait les manuels, décidait des programmes, règlementait les cours d’instruction religieuse eux-mêmes dans toutes les classes des sœurs; la mixité était introduite partout où la loi le prévoyait. Si la bataille était perdue, l’honneur restait sauf: les examens se passaient au couvent même; ce diplôme ne valait plus si la sœur quittait la congrégation; les changements et nominations étaient proposés par la supérieure générale et la congrégation continuait à enseigner en Alsace. Mais cette dernière prérogative était due au rapprochement entre Léon XIII nouvellement élu et Bismarck, et à la présence à Strasbourg du Statthalter, Feldmarschal von Manteuffel, homme fin, racé et diplomate, qui vint lui-même entreprendre la Mère générale à Ribeauvillé. Par contre, le feu couvait sous les cendres en France. Menacée d’expulsion par les Allemands, mère Eutropie avait fait acheter le château de Frasne comme maison-mère française et elle avait répondu autant que possible aux demandes d’ouverture d’écoles dans toute la France et au Camp du Maréchal en Algérie, où s’étaient réfugiés les optants alsaciens de 1870. Mais elle avait répondu par un «non» constant à toutes les insistances d’évêques d’Amérique, d’Asie et d’Afrique. L’arrêté 7 de la loi Ferry ayant été abrogé, la mère se réjouissait de son maintien en France. Elle ignorait qu’un quart de siècle plus tard la loi Combes (1903) renverrait toutes ses maîtresses de classe de France en Alsace. Elle ne savait pas qu’au siècle suivant sa congrégation serait sur le point de s’éteindre, faute de recrues en Alsace et faute d’avoir essaimé en son temps favorable vers d’autres parties du monde. Mère Eutropie, heureuse de la fin du Kulturkampf, fit rénover l’église des Augustins du couvent de Ribeauvillé, avant de rendre à Dieu son âme courageuse et indomptable.
«Geschichte der Schwestern der Göttlichen Voschung», Direktorium, Rixheim, 1910; Sr Lucie Kittel, «Le Kulturkampf et les Sœurs de Ribeauvillé», Ut Sint Unum, spécial, 1981; M. Stark, «Une forte femme: Mère Eutropie Fischer», Almanach de Sainte-Odile, 1981, p.84-86; Archives de la maison-mère à Ribeauvillé.

Sr Lucie Kittel (1988)