Dominicain, maître spirituel (★ Hochheim, en Thuringe vers 1260 † peut-être à Cologne, entre le printemps de 1327 et le début de 1329).
Il entra vers 1275 chez les Dominicains d’Erfurt. Après avoir étudié les arts libéraux à Paris en 1277, il entreprit ses études de théologie à Cologne, où il put probablement rencontrer encore Albert le Grand, mort dans cette ville en novembre 1280. En 1293, il revint à Paris pour y commenter les Sentences de Pierre Lombard. Cinq ans plus tard, la direction de son couvent d’origine lui fut confiée ; il fut également nommé vicaire provincial de Thuringe. Un troisième séjour parisien eut lieu vraisemblablement entre 1300 et 1303. Il n’est pas impossible qu’une mesure d’expulsion y ait mis fin : Philippe le Bel fit partir, en effet, les religieux avaient refusé de signer son appel au concile. E. reçut du pape, en 1302, le titre de maître en Sainte Ecriture ; cette dignité lui vaut d’être appelé Maître Eckhart. Nommé provincial de la Saxe récemment constituée (1304), il s’acquitta de cette lourde charge jusqu’en 1311. En 1307, au cours du chapitre général qui le conduisit une première fois à Strasbourg, une autre tâche délicate lui avait été impartie : en tant que vicaire général de la Bohême, il avait dû résoudre divers problèmes administratifs dans cette région. Ses confrères de Teutonie, la province dont Strasbourg était le chef-lieu, l’avaient porté à leur tête en 1310, mais cette élection n’avait pas été ratifiée. E. retourna pour la quatrième fois à Paris où il enseigna de 1311 à 1314. Son séjour strasbourgeois commença probablement au début de 1314 et dura jusqu’à la fin de 1322. Il ne semble pas que la direction du studium lui ait été confiée. En effet, un document d’archives, daté du 13 avril 1314, le range immédiatement après l’évêque auxiliaire et avant le prieur ; s’il avait été lecteur, il aurait été le subordonné du supérieur de la maison. Déchargé de tâches professorales, il put consacrer plus de temps à la rédaction de ses ouvrages. Il travailla principalement à la composition de l’Opus tripartitum, il prépara les prologues aux commentaires de l’Ecriture qu’il devait mettre au point plus tard, à Cologne. Mais il ne put pas se vouer exclusivement à ses réflexions. La Teutonie, l’Alsace et Strasbourg en particulier, comptaient de nombreuses communautés de Dominicaines. E. remplit la fonction de vicaire du maître général de l’ordre ; à ce titre, en 1316, il autorisa deux moniales de Saint-Marc à Strasbourg à accepter une donation ; en 1322, il effectua la visite canonique d’Unterlinden à Colmar. Aux deux témoignages, il convient d’ajouter ceux des Vitae sororum de Diessenhofen et d’Oetenbach, qui l’une et l’autre mentionnent le passage de Maître E. Les religieuses pouvaient compter sur son appui dans leurs démarches auprès des autorités de l’ordre ; elles appréciaient les conseils qu’il leur donnait et notaient le texte des sermons qu’il prononçait dans leurs églises. Le milieu spirituel de Strasbourg et de toute la vallée supérieure du Rhin était alors très vivant. Il se peut que, parmi ses auditrices, une certaine soeur Katrei ait été la plus zélée de ses disciples, mais il n’est pas certain qu’elle ait réellement existé. Ce fut à Strasbourg que Maître E. écrivit un petit ouvrage en allemand sur le thème de la consolation divine. Ce livre, généralement appelé Benedictus deus parce qu’il commençait par ces mots empruntés à la deuxième épître aux Corinthiens, était dédié par son auteur à la reine Agnès de Hongrie qui s’était retirée au couvent de Toess, non loin de Winterthur. Ce Benedictus deus était le premier écrit évoquant à l’intention de lectrices laïques des sujets relevant de la théologie mystique. Il resta longtemps le seul dans son genre, car le propos parut trop audacieux aux autorités ecclésiastiques qui reprochèrent à Maître E. une quinzaine de points développés dans cet opuscule. On estime généralement qu’une bonne partie des 150 sermons attribués au dominicain fut élaboré pendant les quelques dix ans qu’il habita au couvent de Strasbourg. Mais les seuls dont nous savons où ils furent prononcés le furent dans des églises de Cologne. En effet, Maître E. après 1324 reprit son enseignement théologique au Studium colonais. Il ne tarda pas à y subir des tracasseries ; l’archevêque d’abord, puis la Curie l’inquiétèrent. La protestation d’orthodoxie qu’il fit en février 1327 ne le dispensa pas de faire le voyage d’Avignon et d’y réclamer justice. La date et le lieu de sa mort ne sont pas exactement connus. Le 27.3.1329, la bulle In agro dominico condamne 28 propositions qui lui étaient attribuées. Il ne saurait être question de résumer en très peu de mots la pensée d’E. qui passe à juste titre pour difficile et qui suscite des commentaires divergents. Disons seulement qu’il est le plus profond et le plus audacieux des auteurs dont les œuvres créent la mystique spéculative et s’efforcent de déterminer les conditions dans lesquelles les chrétiens pensent parvenir à l’union avec le Créateur. Tauler, qui pourrait avoir connu E. à Strasbourg, fit preuve de beaucoup de prudence et de discrétion dans l’exposé d’une doctrine qui devait ses principaux éléments à celle de son illustre aîné.
Sitzmann I, 416 ; J. Ancelet-Hustache, Maître Eckhart et la mystique rhénane, Paris, 1956 ; J. Koch, « Studien zum Leben Meister Eckharts », I, Archivum Fratrum Praedicatorum, 1959, p. 5-51 ; U. Nix et R. Oechslin (éd.), Meister Eckhart der Prediger, Fribourg en B., 1960 ; J. Dagens (éd.), La mystique rhénane, Paris, 1963 ; L. Cognet, Introduction aux mystiques rhéno- flamands, Tournai, 1968 ; E. Soudek, Meister Eckhart, Stuttgart, 1973 ; J. Ancelet-Hustache, Sermons, présentation et traduction, Paris, 1974, 1979, 3 vol. ; K. Ruh, «Meister Eckhart», Verfasseriexikon, 2, Berlin, 1980, p. 327-353 ; U. Kern, « Meister Eckhart », Theol. Real Encyclopädie, 9, Berlin, 1982, p. 258-264.
Francis Rapp