Graveur sur cuivre, actif dans les régions du Rhin supérieur entre 1450 et 1467 environ. Que la technique de la gravure sur cuivre ait été ou non inventée vers 1430 dans la vallée du Rhin, le maître E. S. reste, avec le maître des Cartes à jouer et Martin Schongauer, un des trois grands artistes allemands qui ont marqué cet art au XVe siècle. Malgré la bibliographie immense et les très nombreuses tentatives d’identification dont il a été l’objet, il reste anonyme, et il faut continuer à l’appeler selon les lettres E. S. dont il a signé dix-huit de ses gravures. Aucun document ne permet de situer avec certitude son activité en Alsace, et on suit sa présence ou son influence directe tout le long du Rhin supérieur, de Constance à Strasbourg. Mais il faut noter qu’il a bien connu les œuvres des peintres suiveurs de Konrad Witz, comme le maître bâlois de 1445 ou le maître de Sierentz (en Haute-Alsace), et que des rapports évidents relient son art aux peintures du maître de la Passion de Karlsruhe
(actif à Strasbourg vers 1440-1450) ou de Gaspard Isenmann (à Colmar vers 1440-1470). On a aussi relié ses gravures à l’art du sculpteur Nicolas Gerhaerdt de Leyde, présent à Strasbourg vers 1463-1467, mais ne serait-ce pas à Constance, où les deux artistes étaient présents en 1465-1466, qu’ils se seraient connus ? La localisation précise de l’activité du maître E. S. reste donc encore très discutée.
On s’accorde à lui attribuer de façon certaine trois-cent-dix-sept gravures sur cuivre, mais l’influence exercée par de nombreuses autres, disparues, fait supposer qu’il en a exécuté plus de cinq cents. Il était certainement orfèvre, ce que révèle la tendance à des compositions bidimensionnelles et le goût du décoratif. Les gravures de la maturité donnent une importance plus grande aux figures individuelles, et possèdent un grand sens de vie intérieure et de vitalité. Il recherche les formes tri-dimensionnelles avec des gestes compliqués qui veulent suggérer le mouvement possible dans l’espace, et des postures d’une exagération presque outrancière. La double nature de son art, le sens de la forme sculpturale lentement acquis, et le goût de la composition ornementale et du détail décoratif, se réunissent en une synthèse unique dans les œuvres de la fin de sa vie. Son habileté à manier le burin lui a fait dépasser rapidement l’art du maître des Cartes à jouer, qui l’avait d’abord influencé, et il emploie les hachures non seulement pour les ombres mais aussi pour le modelé des formes, avec un sens sculptural très net, et son utilisation des hachures croisées est un apport fondamental pour l’histoire de la gravure. La coexistence de sujets religieux et profanes, modèles d’orfèvrerie, scènes courtoises, alphabet, cartes à jouer, est révélatrice d’une clientèle riche et raffinée. Seuls deux dessins lui sont attribués sans discussion, un Baptême du Christ, du Louvre, et une Sainte Catherine des musées de Berlin-Dahlem. Malgré les nombreuses incertitudes et discussions qui s’attachent à sa biographie, le maître E. S. est un artiste d’une importance capitale pour l’art rhénan de la fin du Moyen Age et dont l’œuvre ouvre la voie aux réalisations ultérieures de Schongauer et Dürer.
Lehrs, Geschichte und Kritischer Katalog des deutschen, niederländischen und französischen Kupferstichs im 15. Jahrhundert, vol. Il, Vienne, 1910 ; M. Geisberg, Die Anfänge des deutschen Kupferstiches und der Meister E. S., Leipzig, 1909 ; M. Geisberg, Die Kupferstiche des Meisters E. S., Berlin, 1924 ; L. Fischel, « Le Maître E S. et ses sources strasbourgeoises », Archives alsaciennes d’histoire de l’art, XIV, 1935. p. 185-200 ; W. R. Valentiner, « The Name of the Master E. S. », Art Quaterly, XI, 1948, p. 218-249 ; A. Shestack, Master E. S., catalogue de l’exposition du musée de Philadelphie, 1967 ; M. Bernhard, Martin Schongauer und sein Kreis, Munich, 1980 ; The lllustrated Bartsch, vol. 8, éd. par J. C. Hutchinson, New-York. 1980, p. 9-123 ; Holm Bevers, Meister E. S. Ein oberrheinischer Kupferstecher der Spätgotik; Staatliche Graphische Sammlung München undKupferstichkabinett Berlin (Staatliche Museen Preußischer Kulturbesitz), München 1986.
Christian Heck (1987)