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DECIUS

(Detius, Decjusz, forme latinisée de son nom d’origine : Ditz, Dietz, aussi Diecz Diejecz, Ditsch, Dyc, Dycz, Dytz) Jodocus (Jobst, Jost, Just, Justus) Ludovicus (Ludwig, Ludwik),

Wissembourgeois émigré, devenu homme d’affaires, économiste, secrétaire du roi, administrateur de la monnaie en Pologne et historien de ce pays (C/Pl). ★ Wissembourg vers 1485 au plus tard † Cracovie 26.12.1545. Fils (? d’après Hertzog, ou plutôt petit-fils ?) de Jacob Ditz, bourgeois (échevin d’après Hertzog, pas bourgmestre, comme on le répète) et vigneron de Wissembourg (d’où la serpette dans ses armes). ∞ vers 1519 à Cracovie Anna, pupille de Johann Boner et fille de Jan Krupek, bourgeois aisé de cette ville : 3 fils et 5 filles. Il apprit le latin (plus tard aussi l’italien et le polonais) et s’expatria dès la fin du XVe siècle vers l’Europe centrale et orientale. Il y avait été précédé par les membres d’autres familles wissembourgeoises (Reinfried, Bethmann, Schilling ©, Herstein, Helwig, etc.) que les luttes incessantes entre l’électeur palatin d’une part, l’abbaye et la ville de Wissembourg de l’autre, empêchaient de faire fortune sur place. Dès l’âge de 14 ans il était en Moravie, plus tard à Schwatz en Tirol et en Hongrie, s’y perfectionnant au service d’un consortium minier des Fugger, Thurzo et Bethmann en connaissances commerciales, minières et monétaires. Vers 1507 il entra en Pologne au service de Johann Boner de Landau, bourgeois de Cracovie depuis 1485 († 1523) : celui-ci était co-directeur et gérant d’une société de commerce en compagnie de Séverin (Seifried) Bethmann de Wissembourg (1420-1515, émigré en Pologne dès 1464), mais surtout depuis 1496 le gestionnaire de la fortune privée de Sigismond Ier Jagellon, lors de l’accession duquel au trône de Pologne en 1506, il devint le principal bailleur de fonds pour le trésor du royaume. Pour le compte de Boner, Decius fit plusieurs voyages qui l’amenèrent à Francfort s/M en 1511, Venise en 1513, Vilna en 1515, Bruxelles en 1516, Venise et Naples en 1517, Rome en 1519. Il en revint avec les titres honorifiques de « comes sacri Lateranensis palatii » (qu’il ne porta plus par la suite) et de « vicecomes palatii » impérial. En 1518 il assista au mariage de Sigismond Ier avec Bona Sforza à Cracovie : il en donna la description détaillée dans un écrit publié dans cette ville en mai 1518 et dédié au vice-chancelier du royaume, Piotr Tomicki, grâce auquel il devint en mai 1520 un des secrétaires royaux.

En décembre 1521 il fait paraître à Cracovie, à la suite de sa 2e édition revue et corrigée de la Chronica Polonorum de Matthias de Miechow allant jusqu’en 1504, un exposé sommaire du passé de la Pologne (De vetustatibus Polonorum, compilation faite d’après divers chroniqueurs), suivi d’une histoire des Jagellons (De Jagellonum familia, résumé de Miechow) et du récit des dix premières années du règne de Sigismond Ier (De Sigismundi regis temporibus, travail original, allant de 1506 à 1516 et considéré comme l’une des meilleures sources pour cette période). Il y raconte entre autres l’émigration de la vingtaine de Wissembourgeois vers la Pologne à partir de 1440, plaide pour une entente entre Polonais et Allemands immigrés, se plaint des faveurs accordées aux Juifs et aux Arméniens, et exhorte ses nouveaux concitoyens à la concorde, sans quoi le royaume sera ruiné et envahi par les Moscovites, les Tartares et les Turcs. Comme secrétaire royal il fut plusieurs fois envoyé en mission à l’étranger : en 1520 en Italie et à Aix-la-Chapelle, en 1522 à Nuremberg, d’où il alla voir Luther à Wittemberg, puis à Rome, où il retourna en 1523 ; l’année suivante il poussa de là jusqu’à Naples et assura pendant deux mois au printemps 1524 l’administration par intérim du duché de Bari échu en héritage à la reine Bona. Après cela, sa santé s’étant altérée, il renonça aux missions lointaines, mais s’occupa avec succès de l’assainissement de la circulation monétaire en Pologne perturbée depuis 1517 par la mauvaise monnaie venue de Silésie : il persuada le roi et la diète de battre une nouvelle monnaie de bon aloi et de retirer la mauvaise. C’est ainsi que de 1525 à 1530 il fut maître de la monnaie à Cracovie, puis de 1528 à 1535 de celle de Torun, où il fut aidé par son frère Jacob, venu avec lui et installé dans cette ville ; enfin de 1530 à 1540 il remplit les mêmes fonctions à Königsberg et redressa de la sorte la situation financière et économique du royaume. Il dut cependant se défendre contre les accusations de malversation proférées contre lui à partir de 1532 par certains nobles à la diète, mais fut finalement blanchi par le roi en 1538. Entre temps il avait été capturé en 1536 par des chevaliers-brigands silésiens et n’avait pu se libérer en 1537 que contre une forte rançon. L’animosité de la noblesse polonaise était encore avivée par le fait que, tout en restant loyal envers Sigismond Ier, il favorisait en coulisse les prétentions de Ferdinand d’Autriche sur la Hongrie à rencontre de Jean Zapolya, et qu’il était agent de renseignement du duc Albert de Prusse. Cela ne l’empêcha pas de s’occuper avec grand succès de ses propres affaires. Son mariage avec une autochtone, ses relations et ses services le firent entrer par adoption dans les rangs de la noblesse polonaise en 1531. Outre quelques maisons qu’il possédait à Cracovie, où il exerça plusieurs fonctions officielles et corporatives, il acheta en 1528 dans les environs de cette ville la terre de Wola Chelmska (appelée depuis lors Wola Justowska) et s’y fit construire un château Renaissance par des architectes et artisans italiens. La même année il obtint l’importante avouerie de Piotrkow et acquit en 1533/35 les mines de cuivre de Kupferberg en Silésie. À partir de 1535 il fut aussi le chef de la saline de Wieliczka, dont il était dès 1521/25 le gérant, et donna la preuve de ses connaissances minières en publiant en 1539 à Cracovie un règlement d’exploitation pour le Kupferberg.

Son intérêt pour les choses de l’esprit ne fut pas moindre : rapports intenses avec les imprimeurs de Cracovie, publication de bréviaires, puis d’écrits historiques, philosophiques ou poétiques de lui ou de ses amis, mécénat, constitution d’une riche bibliothèque d’ouvrages humanistes, historiques et théologiques, contacts personnels avec les milieux intellectuels et influents de Pologne (Sigismond Ier, Séverin Boner à Cracovie, neveu et héritier de son ancien patron, Dantiscus, Hosius, Krzycki, Laski, Szydlowiecki, Tomicki, Trzecieski, etc.), relations épistolaires avec des humanistes d’Europe centrale et occidentale : avec Vadian (1515-1520), surtout avec Erasme, qu’il renseignait sur les événements d’Europe orientale, auquel il servit une pension et qui composa sur sa demande une paraphrase du Notre Père, Praecatio dominica in septem partes distributa, Bâle, 1523. Il correspondait aussi avec le réformateur strasbourgeois Hédion ©, dont il transmettait les lettres adressées au duc Albert de Prusse et inversement. Au point de vue religieux, malgré son intérêt initial et durable pour les idées de Luther, – en 1521 il fut dénoncé comme luthérien au roi, mais celui-ci l’innocenta, – il s’en tint à la position réformiste d’un Erasme, tant par esprit de modération, ennemi de tout bouleversement désordonné, que par intérêt pour sa situation privilégiée auprès de la cour de Pologne fortement hostile à la Réforme. Ses fils, par contre, et bien qu’une de leur sœur eût épousé le frère du futur cardinal Stanislas Hosius, furent après sa mort parmi les tenants les plus actifs de la cause protestante en Pologne, mais sa descendance mâle s’éteignit après leur décès.

Actes de lui ou le concernant : dans les Archives et Bibliothèques de Pologne (en partie publiés dans les Acta Tomiciana, t. IV, 1 855, – t. XVII, 1966, dans les Monumenta Poloniae typographica XV et XVI saeculorum, t. I, (Joa. Ptasnik, Cracovia impressorum) Leopoli, 1922, etc.), mais aussi à Berlin, Modène, Vienne, etc.

Bibliographie de ses écrits imprimés : K. Estreicher, Bibliografia polska. 140000 drukow, t. XV, Krakow, 1897, p. 102-103, et Nowy Korbut, II, p. 121 : à compléter pour sa New Bergordnung… Kupferberg, 1539, par Ptasnik, Bonerowie (cf. infra), p. 121. La description du mariage de Sigismond, 1518, a été republiée dans Acta Tomiciana, IV, p. 296-327 ; son ouvrage sur l’histoire de la Pologne, 1 521, a été réimprimé par Ioan. Pistorius, Polonicae historiae corpus, t. Il, Bâle, (1582), p. 260-340 ; la 3e partie : De Sigismundiregis temporibus existe aussi en édition moderne par W. Czermak, Biblioteka pisarzow polskich, t. 39, Krakow, 1901 ; les passages concernant Wissembourg et les Wissembourgeois émigrés en Pologne figurent en traduction allemande dans Hertzog, Cronicon (v. infra), I. X, p. 211-214. De sa correspondance, celle avec Erasme a paru dans Opus epistolarum Erasmi, éd. P. S. Allen, t. V, 1924, XI, 1947, passim (voir aussi Korespondencja Erazma z Polakami, trad. Maria Cytowska, Warsaw, 1965) ; celle avec Vadian dans Die Vadianische Briefsammlung, hsg. v. E. Arbenz, t. I, 1890, -III, 1897, passim ; celle avec le duc Albert de Prusse dans Documenta ex Archivo Regiomontano Poloniam spectantia, éd. Carolina Lanckoronska, t. 16-19, Roma, 1979-1980 (=Elementa ad fontium editiones, 46-49) ; cf. aussi les lettres et pièces signalées dans Nowy Korbut, II, p. 121-122.

Bibliographie. Bernhart Hertzog, Cronicon Alsatiae, Strassburg, 1592, 10. Buch, p. 211 -214 ; Casimir Römer, De Jodoci Ludovici Decii vita, Vratislaviae, 1874 ; Aleksander Hirschberg, O zyciu ipismach Justa Ludwika Decjusza, Lwow, 1874 (extr. de Przewodnik naukowy i literacki : cf. c.r. de X. L. dans Historische Zeitschrift, 36 (1876), p. 268-269) ; R. Bartolomäus, « Justus Ludwig Decius. Ein deutscher Kaufmann und polnischer Staatsmann », Altpreussische Monatsschrift, 35 (1898), p. 49-111 ; Feliks Kopera, « O emigracyi Niemcow do Polski z Weissenburga i Landau w. XV I XVI wieku », Sprawozd Komisyi histor. sztuki Akad. Umiej., t. VII, 1902, p. CLXXXIII et suiv. (cf. c.r. d’Adam Chmiel, Kwartalnik historyczny, 1903, p. 84-89) ; Jan Ptasnik, « Bonerowie », Rocznik Krakowski, 7 (1905), p. 1-134 (consulté dans la traduction allemande de R.A. Klostermann, Die Boner, Berlin, 1941, dact., spéc. p. 120-122) ; Arthur Semrau, « Jost Ludwig Dietz und die Münzreform unter Sigismund I. », Mitteilungen des Coppernicus-Vereins für Wissenschaft und Kunst in Thorn, 14 (1906), p. 33-48 ; Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace, Rixheim, t. I, 1909, p. 354 ; Theodor Wotschke, Geschichte der Reformation in Polen, Leipzig, 1911, spéc. p. 43-45 ; Wlodzimierz Budka, Biblioteka Decjuszow, Krakow, 1929 (cf. Ptasnik, Bonerowie, p. 121 (109), et c.r. de E. Koschmieder dans Jahrbücher für Kultur und Geschichte der Slaven, N.F. 6 (1930), p. 503) ; S. Komornicki, « Kultura artystyczna w Polsce czasow Odrodzenia », Kultura staropolska, Krakow, 1932, p. 573-574 ; Wladyslaw Pociecha, « Decjusz (Dietz) Jost Ludwik », Polski Slownik biogra-ficzny, t. V, fasc. 21, 1938/39, p. 42-45 (avec bibliographie détaillée et indication de sources ; p. 45-46 notice du même sur le fils aîné homonyme de D.) ; Schwarz, « Dietz (Decius) Jost Ludwig », Altpreussische Biographie, I, Königsberg, 1941, p. 133 ; Emst Klock, « Wirtschaftspionier, Sekretär des Königs und Geschichtsschreiber Jost Ludwig Dietz (1485-1545) », Deutsche Gestalter und Ordner im Osten, hsg. v. Kurt Lück, 2. erw. Aufl., Leipzig, 1942, p. 75-82 et 353 ; Zygmunt Wojciechowski, Zygmunt Stary (1506-1548), Warszawa, 1946 ; S. Wiedkiewicz, « Un émule de Copernic : Decius », Études Coperniciennes, t. I, Paris, 1958, p. 217-219 ; art. « Decjusz Jodok Ludwik (ok. 1485-1545) », Bibliografia literatury polskiej ‘Nowy Korbut’ : Pismiennictwo staropolskie, II, Warsaw, 1963-1965, p. 120-123 (avec bibliographie très détaillée et liste des sources) ; Maria Cytowska, « Justus Ludovicus Decius », Contemporaries of Erasmus. A biographicalregister, ed. Peter G. Bietenholz, t. I, Toronto, (1985), p. 380-382 (avec indication de certaines sources) ; renseignements obligeamment communiqués par MM. Dr. Jähnig, Archivoberrat au Geh. Staatsarchiv, Berlin-Dahlem ; J. Mond, secrétaire général de la Société historique et littéraire polonaise, Paris ; Auguste Schaaf, Wissembourg ; André Séguenny, GRENEP, Strasbourg.

Jean Rott (1986)