Architecte (★ Pontarlier, Doubs, 15.8.1715 † Besançon 8.3.1799).
Fils de Joseph Beuque, marchand tanneur et de Jeanne Françoise Vernois. ∞ 5.3.1737 à Pontarlier Anne Antoine Vispré ; onze enfants dont Antoine Louis (★ 1744), qui travailla à Guebwiller avec son père et était qualifié d’architecte en 1790. B. fut probablement négociant à Pontarlier avant d’arriver à Besançon en 1747. Il y exerça une activité de brasseur de 1748 à 1758. En 1760, il était inscrit comme architecte bien qu’imposé au tarif des ouvriers. A-t-il suivi des cours en 1758-1759? Lorsque l’abbaye de Murbach obtint d’être transférée à Guebwiller, elle demanda, en mars 1758, un projet pour sa nouvelle implantation en ville et le prince-abbé Casimir de Rathsamhausen © s’adressa à celui qui avait, entre 1743 et 1756, reconstruit l’abbatiale de Lure, unie à celle de Murbach depuis 1560 : l’ingénieur en chef des ponts et chaussées de Franche-Comté, Jean Querret. En 1759, celui-ci fournit encore un plan pour l’église qui ne fut pas retenu et, la même année, Beuque apparut pour la première fois à Guebwiller, chargé sans doute d’élaborer un projet pour une collégiale, car c’est en 1759 que le roi avait autorisé la sécularisation de l’ancienne abbaye. Une seule explication à ce changement d’architecte paraît possible : ce serait Querret qui aurait recommandé Beuque qu’il connaissait sans doute depuis, qu’à la suite de l’incendie de Pontarlier en 1736, il avait reconstruit la maison familiale des Beuque. Peut-être même était-ce lui qui avait donné à Beuque le goût de l’architecture et l’avait poussé dans cette voie en l’incitant à s’inscrire à l’École des arts, fondée à Paris par Jacques-François Bloncel © dont Beuque affirmait avoir été l’élève et dont il aurait pu suivre les cours dans les années 1758-1759. Nous ignorons la formation première de Beuque, mais il apparaît dans ses écrits comme quelqu’un de cultivé, et dans ses dessins comme quelqu’un possédant bien son métier et au fait des tendances contemporaines de l’architecture parisienne. Pourtant le chapitre refusa le premier projet qu’il lui avait demandé le 9.7.1760 parce qu’il ne le trouva pas fait « suivant le goust moderne ». Un nouvel accord fut passé le 10.1.1761 avec Beuque qui, le 1er mai suivant, soumit des plans (un plan, des coupes transversale et longitudinale, une élévation latérale sont conservés dans les archives de l’église Notre-Dame) qui furent acceptés. Le 27.4.1762 un nouveau contrat fut signé par lequel Beuque s’engageait à fournir les plans et dessins d’exécution (un plan, une coupe longitudinale et une transversale, une élévation latérale et celle de la façade sont conservés dans les archives de l’église Notre-Dame, ainsi que leurs copies arbitrairement datées de 1765) et de se rendre à Guebwiller trois fois par an. Le chantier débuta dans la seconde moitié de l’année. Mécontent de la conduite des travaux, Beuque obtint, en mai 1763, de les diriger lui-même en qualité d’appareilleur et s’installa à Guebwiller. La sécularisation de l’abbaye ayant été accordée par le pape en août 1764, Beuque présenta en décembre un plan d’ensemble des bâtiments à élever pour les 12 chanoines. En 1765, il se fit recevoir comme maître-maçon à Cernay afin d’assurer lui-même la construction des maisons canoniales qui lui fut confiée le 29.11.1765. Il commença la première cette même année et éleva la seconde en 1766. Ces édifices furent rapidement l’objet de vives critiques, vraisemblablement inspirées par le sculpteur Gabriel Ignaz Ritter © et réfutées lors d’une expertise confiée à Pierre François Paris, architecte de l’évêché de Bâle. La majorité du chapitre, conduite par le grand doyen François Antoine de Beroldingen, fut sensible à ces critiques et, malgré l’opposition du chanoine franc-comtois Bouzier de Rouveroye, chargé de l’inspection des travaux, et de celle du prince-abbé lui-même, décida le 11.10.1767 d’enlever à Beuque sa charge d’appareilleur pour la confier à Ritter. En décembre, Beuque annonça que son maître Blondel viendrait voir son ouvrage de Guebwiller à l’occasion d’un prochain voyage, qui n’eut pas lieu. Le 2.1.1768, le chapitre décida de suspendre les travaux qui avaient atteint le niveau des chapiteaux de la nef. Puis il s’adressa au Conseil souverain qui nomma une commission d’experts Chassain, Christiani, Gouget et Drexler, entrepreneur à Soultz) dont les conclusions furent défavorables à Beuque que le chapitre congédia aussi comme architecte le 4 mai. Résolu à se défendre, Beuque « sous les auspices de J.F. Blondel », fit, le 8 août, examiner ses plans par l’Académie royale d’architecture qui se déclara « contente de la disposition générale du projet ». Le chapitre fit expertiser le chantier par de nouveaux architectes (Massol ©, Werner ©, Ritter © et Schuler ©). À la suite de leurs rapports, le renvoi de Beuque fut confirmé le 11 novembre. Aussi, à la fin de l’année, celui-ci retourna-t-il à Besançon. Afin de trancher définitivement le conflit, le chapitre résolut, le 7.4.1769, d’en appeler à son tour à l’Académie. Saisie le 29 juin, celle-ci nomma une commission composée de Sedaine, Chevotet, Franque et Brébion. Blondel souhaita que Beuque se rendît à Paris pour prendre les instructions de l’Académie. Nous ignorons si l’intéressé donna suite à cette invitation. Toujours est-il que le 21 août les commissaires firent approuver pour l’Académie leurs observations critiques et leurs recommandations. Il n’y avait plus d’espoir pour Beuque « Cet homme infortuné » avait été « traité inhumainement », selon le prince-abbé qui l’avait soutenu « par principe de confiance » et qui finit par s’incliner devant la majorité du chapitre. À partir de 1770, Ritter poursuivit l’église selon les plans de Beuque et l’acheva en 1785, à l’exception des deux niveaux supérieurs des tours dont seuls ceux de la tour de droite furent élevés en 1842-1844, dans le respect du projet initial. L’échec de Beuque s’explique sans doute par son manque d’expérience qui entraîna quelques erreurs ou malfaçons et ce qui était plus grave encore, une importante sous-estimation des devis. Peut-être aussi l’ambition de Ritter qui cherchait à supplanter Beuque, y fut elle pour quelque chose. L’histoire du chantier de Beuque à Guebwiller est exemplaire des relations difficiles, voire conflictuelles, qui pouvaient s’instaurer entre maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre et des dissensions qui pouvaient se produire à l’intérieur même de ces deux milieux. Exemplaire, cette histoire n’en demeure pas moins quelque peu énigmatique : comment un architecte débutant, inexpérimenté et décrié a-t-il pu concevoir et élever un monument exceptionnel tel que l’église Notre-Dame de Guebwiller ? Qui n’est pas seulement l’église alsacienne la plus importante du XVIIIe siècle, mais aussi un édifice remarquable de l’art français du troisième quart de ce siècle, encore trop méconnu par l’histoire de l’architecture. Élève de J.F. Blondel, contemporain de Soufflot ou de Constant d’Yvry, Beuque a laissé une œuvre qui incarne à la fois le classicisme français finissant et le goût nouveau pour l’architecture antique et qui est en cela l’un des édifices les plus représentatifs du premier néo-classicisme que l’on a qualifié de « tempéré ». En Franche-Comté, Beuque travailla principalement, de 1770 à 1786, pour les communautés de la subdélégation de Besançon, s’occupant d’expertises, de devis, de réparations ou de projets pour des églises et leur mobilier, des presbytères, des écoles, des fontaines ou des ponts, non sans rencontrer des problèmes avec les entrepreneurs ou les maîtres d’ouvrage qui le trouvaient trop cher. Aussi, Beuque pourrait-il passer pour un architecte quelconque, tout à fait secondaire, s’il n’était resté dans l’histoire comme l’auteur de Notre-Dame de Guebwiller, comme l’homme d’une seule œuvre, mais d’un chef d’œuvre qui oblige à le mettre au premier rang.
Archives départementales du Haut-Rhin, 10 G (Fonds Murbach) ; Allgemeines Lexikon der bildenden Künstler von der Antike bis zur Gegenwart, herausgegeben (begründet) von Ulrich Thieme und Felix Becker Leipzig, III, 1909, p. 553 ; P. Brune, Dictionnaire des artistes et ouvriers de la Franche-Comté, Paris, 1912, p. 27 ; Procès-verbaux de l’académie royale d’architecture, 1671-1793, publ. par H. Lemmonnier, VIII, Paris, 1924, p. 26-27, 51 -52, 55-57 ; R. Tournier, Les églises comtoises, Paris, 1954, p. 122, 320 ; Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, canton de Guebwiller, Paris, 1972, 2 vol., passim ; J. Davatz, Die Liebfrauenkirche zu Gebweiler, Bern, 1974, p. 100-107 et passim ; R. Lehni, Autour de l’église Notre-Dame, catal. d’exp., Guebwiller, 1974 ; Architectures en Franche-Comté au XVIIIe siècle, catal. d’exp. des Arch. Dép. du Doubs et de la Haute-Saône, 1980, p. 43, 110-112; R. Lehni, L’église Notre-Dame de Guebwiller, Congrès archéologique de France, 136e session, 1978, Haute-Alsace, Paris, 1982, p. 284-299 ; idem, Notre-Dame de Guebwiller, Paris, 1998 ; Saur, Allgemeines Künstler-Lexikon, 10, München, Leipzig, 1995, p. 282 ; A. Steinhausen, Die Architektur des Klassizismus im Elsass, Münster, 2002, p. 72-73, 77, 149 ; Mme A. Deridder qui travaille sur Les architectes franc-comtois au XVIIIe siècle, a fourni de nombreuses informations inédites.
Portrait. Reproduction présumée d’un portrait ancien inconnu. Fusain, vers 1885, attribué à Victor Weckerlin (coll. de l’église Notre-Dame de Guebwiller).
Roger Lehni (2004)