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(Photo L’Alsace)

 

Bernard Vogler, « l’historien de l’Alsace », est décédé le 2 décembre à l’âge de 85 ans. Il a fait partie de l’équipe qui a assuré la relance de la Fédération dans les années 70. Il fut élu membre du comité fédéral en 1978, responsable de la commission des publications. Le professeur Vogler a pris sa part dans les entreprises fédérales, le NDBA à ses débuts, et malgré la maladie, a participé activement au DHIA où il a rédigé près d’une soixantaine de notices.

Fils d’un menuisier d’Obermodern, né en 1935, Bernard VOGLER s’était fixé à Schillersdorf, foyer de ses ancêtres. Il était issu de cette population protestante du Hanau-Lichtenberg et il y tenait de tout son être.

Après ses études secondaires au Lycée de Bouxwiller, c’est à Lyon qu’il choisit de faire des études d’élève maître instituteur (1953-1956), et où il exercera trois ans (1957-1960). Il s’y marie avec une fille d’universitaires, Chantal, plus tard maîtresse de conférences à Lyon, dont le décès peu de temps avant lui, l’avait lourdement frappé. L’instituteur lyonnais, entreprend ses études d’histoire à l’Université de Lyon qu’il conclut par l’agrégation d’histoire en 1960. Il choisit alors de revenir enseigner en Alsace, au Lycée Bartholdi de Colmar, puis au Lycée Kléber de Strasbourg (1960-1965), enfin chargé de recherches au CNRS. Il choisit un sujet de thèse d’histoire régionale et religieuse, à partir de sources en allemand, sur la Vie religieuse dans les pays rhénans protestants de 1555 à 1619. Il la décline en une thèse de 3e cycle (1969) et une thèse d’État (1972). À partir de 1969, il est recruté, comme assistant puis maître assistant, auprès de Georges Livet à l’Institut d’histoire moderne. Et en 1976, il succède à Philippe Dollinger comme professeur d’histoire de l’Alsace, directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace et d’un Centre de recherches régionales et rhénanes qui disparaitra quelques années plus tard : un moderniste qui succède au médiéviste.
Avec une capacité de travail peu commune, une mémoire exceptionnelle, une étonnante facilité d’écriture – écriture simple, claire, lisse mais reposant sur une recherche approfondie, une érudition prodigieuse, jamais prise en défaut, Bernard Vogler développera une oeuvre abondante de centaine de contributions et d’articles, dans des ouvrages collectifs et des dizaines de revues françaises et allemandes.

Ses ouvrages portent sur l’Allemagne, comme ses synthèses sur Le Monde germanique et helvétique à l’époque des réformes (1517-1618) (1982) ou ses contributions aux grandes histoires religieuses – Histoire du protestantisme – Philippe Wolf (1977 – 2001) ou Histoire du christianisme – C. Mayeur (1992).
Ayant été à deux reprises professeur invité, dont une année entière à Stuttgart, il est très attaché aux relations avec l’Allemagne voisine et ses universitaires, en particulier aux relations avec la commission d’histoire régionale du Bade-Wurtemberg. Contestant le modèle des relations intellectuelles franco-allemandes qui partent de Paris et reviennent à Paris, il lui paraissait primordial d’assurer dans les Universités régionales voisines la place de Strasbourg et de l’Alsace et de l’histoire de l’Alsace.
Est-il paradoxal que Bernard Vogler ait rédigé 5 histoires des Caisses d’Épargne d’Alsace de 1985 à 1990 et un ouvrage sur « le Crédit Agricole en Alsace » et soit devenu un spécialiste reconnu de l’histoire bancaire et financière ? Cet homme de réseaux connaissait les ressources du mécénat et la faiblesse des financements universitaires et nombre de projets scientifiques qu’il a lancé en ont bénéficié.

Mais sa grande cause, c’était l’Alsace. Jamais on n’a mieux assuré la mission fixée par les historiens de l’Université de Strasbourg, du « service en ville ». Il était partout : aux DNA, à FR 3, à l’Université populaire, dans d’innombrables conférences où son style oratoire, simple et direct, celui de la causerie, lui assurait l’attachement d’un vaste public populaire. Dans cette période du réveil régionaliste où Paris admet brièvement l’existence d’une région Alsace, avec son identité propre, la grande cause de Bernard Vogler sera de populariser la langue et la culture régionales et l’histoire de l’Alsace. C’est le cas avec ses célèbres « poches » de la Nuée bleue : l’Histoire culturelle de l’Alsace (1993), son Histoire politique de l’Alsace (1995) et son Histoire économique de l’Alsace (1997). De 1988, à la demande du recteur Deyon, dans le cadre de la promotion de la langue et de la culture régionales, il anime une équipe qui réalise un manuel « L’Alsace, une histoire » qui met à la disposition des élèves et des enseignants un exposé clair et succinct de l’histoire de l’Alsace.

Homme de réseaux, homme d’influence, Bernard Vogler était trop intelligent pour ne pas connaître l’importance des réseaux nationaux. Dès 1982, il est membre du Conseil national des Universités, au prix de quelques concessions, s’étonnant qu’on ne les comprenne pas : il menait sérieusement une carrière sérieuse, et défendait des causes importantes à ses yeux. Il occupera d’autres fonctions nationales universitaires et scientifiques, membre du Comité des travaux historiques et scientifiques depuis 1989. Vice-président de la section d’histoire moderne et de la Révolution depuis 2000. Son modèle assumé, Schoepflin, n’était-il pas membre de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres (et de nombre d’autres Académies) ?

Alsacien et protestant ! Bernard Vogler a été protestant engagé dans la vie de son Église : vice-président du consistoire du Temple-Neuf, chanoine de Saint-Thomas, du Consistoire supérieur de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine, mais aussi membre titulaire du Comité de la Société de l’histoire du protestantisme français. Secrétaire (1975-1985), puis vice-président de la Commission internationale d’histoire ecclésiastique comparée (CIHEC).
Enfin, cet universitaire couvert d’honneurs n’était pas un mandarin : antiautoritaire sans théorie, il était ouvert aux étudiantes et aux étudiants, qui se pressaient à ses cours et séminaires. Il les recevait volontiers, les écoutait et les soutenait. Il a dirigé la recherche d’un nombre étonnant de jeunes chercheurs en histoire de l’Alsace. Il a lancé un grand nombre d’enquêtes collectives, dans le cadre de programmes collectifs nationaux, sur les testaments, les maires, les notables, les prénoms, qui ont fait avancer la connaissance de l’histoire de l’Alsace. Il s’est efforcé d’assurer la visibilité de cette recherche, dans des articles de revue ou dans un annuaire, les Chantiers Historiques en Alsace, organe junior de la Revue d’Alsace.

Cette popularité n’est pas le moindre des titres de l’enseignant qu’il n’avait jamais cessé d’être. Nul doute qu’ils se joindront à tous ceux qu’attriste la disparition de Bernard Vogler.

François Igersheim