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BUCER (Bucerus, Bucaerus, Butzer, Buczer, Boukeros)

(Le nom « Kuhhorn » que certains auteurs lui ont attribué, n’est qu’une traduction erronée de sa signature en grec ; de même le surnom « Emunctor », traduction de « Butzer ») ; Aretius Felinus, 1529 ; Conrad (Chunrath) Trew(e) von Fridesleuen, 1539/40 ; Waremund Luithold, 1540 ; T.T.T., 1546/49).

Martin, théologien, réformateur strasbourgeois et européen (P).

A. Dates de sa vie ;

B. Formation et débuts de carrière ;

C. Ministère à Strasbourg et activité au dehors ;

D. Exil en Angleterre ;

E. Le théologien ;

F. Papiers et œuvres ;

G. Travaux le concernant ;

H. Portrait.

 

A. Dates de sa vie :

? Sélestat 11.11.1491, † Cambridge 28.2./1.3.1551 ; fils de Claus Bucer, baquetier (parti dès avant 1501 à Strasbourg, où il devint bourgeois 7.12.1508), et d’Eva N., pendant quelque temps sage-femme. ∞ I en été 1522 à ? Elisabeth Silbereisen, ancienne nonne de Lobenfeld, fille de feu Jacob Silbereisen, forgeron à Mosbach, et d’Anna Pallass, † Strasbourg 4.11.1541 ; ∞ II Strasbourg 16.4.1542 Wibrandis Rosenblatt, ? Bâle (?) 1504, fille de Hans Rosenblatt de Säckingen, capitaine au service de Maximilien Ier, et de Magdalena Strub de Bâle ; veuve de mag. Ludwig Keller (Cellarius, † été 1526), puis du réformateur bâlois Joh. Oecolampad († 22/23.11.1531), ensuite du réformateur strasbourgeois Wolfgang Capiton © († 3.11.1541), † Bâle 1.11.1564.

B. Formation et débuts de carrière

Élevé à Sélestat chez son grand-père Claus Bucer, également baquetier, Bucer entra en 1506/07 au couvent des dominicains de Sélestat, et fut envoyé plus tard à celui de Heidelberg, où il fut immatriculé à l’Université le 31.1.1517. Le catalogue des 103 ouvrages qu’il détenait alors (30.4.1518), montre qu’il conjuguait l’étude de la scolastique médiévale, surtout de Thomas d’Aquin, avec la lecture des publications humanistes, d’Erasme en particulier. Fin avril 1518 il assista à Heidelberg à la dispute qu’y tint Martin Luther et eut avec lui une entrevue qui décida de son orientation future : déjà « reuchlinien » et « érasmien », il devint « martinien » et resta dès lors un partisan de Luther, malgré toutes les nuances qu’il y mit par la suite. Bien vu de ses supérieurs favorables à l’humanisme chrétien, il se perfectionna en grec et en hébreu, expliqua à ses confrères étudiants les Psaumes, Pierre Lombard et Erasme, et se prépara ainsi à sa future carrière de professeur d’exégèse et d’éditeur de commentaires bibliques. Grâce à ses lectures étendues, à son excellente mémoire, à sa performance dialectique et à sa rapidité de réplique, il acquit dans les disputes religieuses une aisance qui fit de lui un protagoniste tout désigné pour les débats et colloques des années à venir. En même temps il entra en correspondance avec Beatus Rhenanus ©, Capiton, Hutten et d’autres humanistes et « évangéliques ».

Mais bientôt l’habit monastique lui pesa et son « luthéranisme » le rendit suspect à l’Inquisition : au début de 1521 il quitta le couvent de Heidelberg et se réfugia d’abord auprès de ses amis à Spire (Materne Hatten ©, etc.), puis auprès de Franz von Sickingen et de Hutten à l’Ebernburg. Il y eut une entrevue avec Jean Glapion, le confesseur de Charles-Quint, à l’instigation duquel il alla à Oppenheim à la rencontre de Luther pour lui conseiller, sans succès, de se rendre à l’Ebemburg plutôt qu’à la diète de Worms. Ce serait aussi l’époque où il aurait écrit deux pamphlets anonymes, le Neu Karsthans et Ein schöner dialogus und gesprech zwischen eim pfarrer und eim schultheiss ; mais cette attribution est aujourd’hui très controversée. Entre temps il obtint un bref pontifical qui lui permit de se faire dispenser des vœux monastiques le 29.4.1521. Il entra comme chapelain au service du comte palatin Frédéric (II, le futur électeur) et le suivit à Nuremberg, où il prit contact avec les milieux
humanistes et évangéliques de cette ville qui était à l’avant-garde de la Réforme dans l’Empire. Puis, au bout d’un an, il accepta la cure de Landstuhl que lui confia Sickingen, fut un des premiers prêtres à se marier, mais obtint son congé en automne 1522, quand le chevalier échoua dans sa tentative de s’emparer de Trèves. Au lieu de pouvoir aller à Wittemberg pour y continuer ses études, Bucer fut retenu à Wissembourg par Henri Motherer ©, le curé de la paroisse Saint-Jean, et y prêcha de novembre 1522 à avril 1523, malgré les citations à comparaître devant l’évêque de Spire et son vicaire général. Cependant l’écrasement de la rébellion de Sickingen (début mai 1523) fit craindre aux Wissembourgeois des représailles de la part des princes coalisés contre le rebelle : aussi Motherer et Bucer avec leurs épouses furent-ils priés de quitter la ville en cachette et de se réfugier à Strasbourg, cité alliée, où ils arrivèrent dans la première quinzaine de mai 1523.

C. Ministère à Strasbourg et activité au dehors (1523-1549).

Cette partie, capitale, de la vie de Bucer peut se subdiviser en quatre phases :

La Ie, 1523-1529, est dominée à Strasbourg par la lutte contre l’Église romaine et par les débuts de l’anabaptisme ; dans l’Empire c’est la formation des deux camps, catholique et protestant, et à l’intérieur de ce dernier, la scission provoquée par la querelle sacramentaire concernant l’interprétation de la cène.

La IIe phase, 1529-1539, est caractérisée à Strasbourg par l’organisation de la nouvelle Église qui est provoquée notamment par la montée de l’anabaptisme, mais qui en amène aussi le déclin ; dans l’Empire la querelle sacramentaire reçoit une solution partielle dans la Concorde de Wittemberg, mais les Suisses refusent de s’y associer.

La IIIe, 1539-1546, voit à Strasbourg le problème de la discipline ecclésiastique se poser avec plus d’acuité ; dans l’Empire c’est la tentative infructueuse des colloques religieux, suivie par l’échec de la réforme de l’archevêché de Cologne.

Enfin la IVe phase, 1546-1549, se distingue à Strasbourg par l’essai des « christliche Gemeinschaften », groupes structurés de paroissiens confessants ; dans l’Empire on assiste à la Guerre de Smalcalde, à la victoire de Charles-Quint sur les protestants et à ses efforts pour leur imposer son règlement religieux provisoire, l’Intérim, qui force Bucer à s’exiler.

 

I. 1523-1529

Bucer vint chez son père à Strasbourg, dénué de ressources, mais protégé contre toute violence comme fils de bourgeois. Pour gagner sa vie il donna des cours bibliques semi-publics et aida officieusement Matthieu Zell ©, qui depuis deux ans prêchait avec un succès grandissant l’évangile à la luthérienne dans sa paroisse de la cathédrale. Surtout il publia en été 1523 trois écrits, dont le premier « Das ym selbs niemant, sonder anderen leben soll » est comme le programme de la Réforme strasbourgeoise tout axée sur un christianisme de la pratique. Vers le dehors il intensifia sa correspondance avec Zwingli à Zurich et tâcha de conforter les évangéliques de Wissembourg en publiant le « Summary seiner predig daselbst gethon ».

En 1524 sa situation matérielle s’améliora : fin mars il fut élu prédicateur par la paroisse des maraîchers de Sainte-Aurélie et en devint le pasteur quand le 24.8. le magistrat s’arrogea le droit de confirmer l’élection des pasteurs. De ce fait Bucer participa à l’élaboration du nouveau culte évangélique et fut chargé par ses collègues d’en présenter le tableau justificatif dans le « Grund und ursach aus gotlicher schrifft der neuwerungen ». De même il collabora avec Capiton et Hédion © aux discussions avec Thomas Murner © et Conrad Treger ©, les défenseurs de l’Église romaine, qu’un coup de force des bourgeois radicaux élimina de la ville en septembre. De plus pour propager les nouvelles doctrines dans les pays de langue romane, Bucer entreprit de traduire en latin des cycles de sermons de Luther, en particulier la Postille, dont il dédia le t. 1 aux évangéliques de France (janvier 1525) et le t. 4 à ceux d’Italie (juillet 1526).

En 1525 la guerre des Paysans vit Bucer, Capiton et Zell essayer en vain de détourner les révoltés de leurs actions violentes ; en ville elle provoqua la suppression de toutes les messes à l’exception de la messe quotidienne dans les quatre églises principales. À titre de remplacement Bucer et ses collègues tentèrent, sans succès, pendant cette année et les années suivantes, de faire adopter par les chapitres restés catholiques une liturgie réformée commune, sans messe. 1525 vit aussi dans le sud-ouest de l’Empire les premiers développements de la querelle sacramentaire entre réformateurs suisses et saxons : dès lors les Strasbourgeois, Bucer en tête, multiplièrent les prises de contact avec les deux camps dans l’espoir de trouver une solution d’entente sauvegardant l’unité du mouvement évangélique en Europe, aussi au point de vue politique. Dès 1526/1527 Bucer se trouva personnellement mêlé à cette querelle : gagné à une conception plutôt spiritualiste de la cène, proche par son subjectivisme de celle de Zwingli, il s’était cru autorisé à glisser dans sa traduction des sermons de Luther et dans celle du Psautier de Bugenhagen des passages sur l’eucharistie en contradiction avec l’interprétation avant tout objective de ses confrères wittembergeois. Ceux-ci réagirent publiquement et Bucer dut se défendre de sa supercherie dans son Apologia et dans sa Praefatio. Ces deux années furent aussi marquées à Strasbourg par les débuts et les progrès des mouvements radicaux dissidents, anabaptistes et spiritualistes, venus en particulier de Zurich, de Nuremberg et d’Augsbourg : conscient du danger qu’ils représentaient pour la nouvelle Église, Bucer monta en lice contre eux dès 1527 dans la Getreue Warnung et dans son premier Commentaire de l’Epître aux Ephésiens, à côté de son Commentaire des Synoptiques et de celui de l’Évangile selon Jean (1528).

Au dehors de Strasbourg, en janvier 1528, en compagnie de Capiton il fit son entrée sur la scène européenne, en participant activement à la dispute de Berne qui aboutit à l’adoption de la Réforme par cet important canton helvétique. Il y fit la connaissance des prédicateurs de Suisse et d’Allemagne du sud-ouest venus à cette rencontre, en particulier du réformateur de Constance, Ambroise Blaurer, qui devint son principal confident. Il s’y initia aussi à la politique d’alliances évangéliques prônée par Zwingli. Cela lui donna encore plus d’assurance : sur la base de l’union sacramentelle eucharistique affirmée par Luther, il proposa une Vergleichung (1528) entre ce dernier et Zwingli. Pour dérouter l’Inquisition il publia en 1529 sous le pseudonyme d’Aretius Felinus un Commentaire des Psaumes, dédié au dauphin de France, se présentant comme le travail d’un théologien français et témoignant d’une connaissance approfondie de l’exégèse rabbinique. À Strasbourg enfin il soutint à fond la campagne pour l’abolition immédiate de la messe qui aboutit le 20 février 1529 à la suppression des quatre messes encore autorisées en 1525 et à l’entrée définitive de la ville dans le camp protestant.

II 1529-1539.

Mais il ne suffisait pas de réduire l’ancienne Église au silence à Strasbourg, il fallait aussi défendre la nouvelle contre les non-conformistes et lui donner une structure la rendant mieux apte à remplir sa mission de christianiser toujours davantage le corps social de la cité. Bucer se consacra à ces deux tâches, à côté de son travail de pasteur de Saint-Thomas (à partir de 1530), de professeur d’exégèse et d’auteur d’ouvrages théologiques (2e et 3e édition de ses Commentaires sur les Évangiles, 1530 et 1536, Catéchismes, 1534 et 1537, Commentaire sur l’Épître aux Romains, 1536, traité Von der wahren Seelsorg, 1538). Dans sa lutte contre les non-conformistes il disputa non sans succès avec Marpeck (fin 1531-début 1532), avec Schwenckfeld, Clément Ziegler ©, et Melchior Hoffman © au synode de juin 1533, puis avec les adhérents les plus instruits de ce dernier, qui se rallièrent à l’Église officielle en 1538/1539.

L’organisation de cette Eglise, Bucer, comme les autres réformateurs, ne la concevait qu’en liaison étroite avec l’autorité civile, responsable, disaient-ils, non seulement de faire régner l’ordre public, mais aussi de favoriser au maximum la prédication de l’Évangile et sa mise en pratique. C’est ainsi que Bucer obtint du magistrat en octobre 1531 l’institution des « anciens » (Kirchenpfleger) chargés de veiller à la discipline des doctrines et des mœurs des pasteurs et des paroissiens. À la suite des demandes réitérées de Bucer et de ses collègues un synode des pasteurs, enseignants et « anciens » fut réuni en juin 1533, présidé par quatre membres du magistrat : il eut pour tâche non seulement de réduire au silence les non-conformistes, mais aussi de charger une commission d’élaborer un projet d’organisation pour l’Église. Le résultat en fut l’Ordonnance ecclésiastique de fin 1534, valable jusqu’en 1598 et à la rédaction de laquelle Bucer prit une part importante.

Il en fut de même pour la réorganisation corrélative de l’enseignement : avec le scolarque Jacques Sturm © et le pédagogue humaniste Jean Sturm ©, Bucer fut le principal promoteur de l’ouverture du Gymnase, coiffé par la Haute-École, en 1538 et de la proclamation du statut municipal du 9.9.1539 concernant les prébendes affectées à l’instruction publique. Avec Capiton il fut également à l’origine de la venue de Jean Calvin © à Strasbourg en octobre 1538 : ce dernier eut à organiser la paroisse des réfugiés de langue française et son séjour de trois années dans le milieu strasbourgeois marqua durablement sa pensée et ses conceptions ecclésiales.

Parallèlement à cette activité au sein de la ville, Bucer eut mainte occasion de se manifester sur la scène de l’Empire. Devant la menace impériale l’union des protestants était plus nécessaire que jamais, mais elle était conditionnée par l’unité de doctrine : or celle-ci achoppait sur le problème de la cène. Pour Bucer les deux camps, sans s’en rendre compte, étaient d’accord sur le fond, sans trouver la formule d’entente adéquate, et il n’eut de cesse d’en trouver une, malgré tous les déboires. C’est ainsi qu’il assista au colloque de Marbourg en octobre 1529 qui confronta, sans succès sur ce point, Luther et Mélanchthon avec Zwingli et Oecolampade. L’année suivante il fut appelé avec Capiton à la diète d’Augsbourg ; ils y rédigèrent la Confession de foi dit Tétrapolitaine, parce que signée par Strasbourg, Constance, Lindau et Memmingen, où l’article sur la cène exprimait une position intermédiaire entre celle des luthériens et celle de Zwingli. De là Bucer se rendit à la Coburg chez Luther qui ne repoussa pas sa proposition de trouver une formule d’accord ; mais celle-ci n’eut pas l’agrément de Zwingli. Entre temps il fut consulté fin 1530 par les délégués des Vaudois du Piémont et son avis contribua à leur ralliement au protestantisme. De plus en mai/juin 1531 il participa activement à l’introduction de la Réforme à Ulm.

La mort de Zwingli en octobre 1531, suivie en novembre de celle d’Oecolampade, et la défaite des cantons suisses évangéliques amenèrent les Strasbourgeois à entrer dans l’alliance des protestants allemands, dite Ligue de Smalcalde, en souscrivant la Confession luthérienne dite d’Augsbourg, souscription que Bucer justifia à l’assemblée de Schweinfurt d’avril 1532. Puis ce furent, toujours dans le but d’arriver à une entente, un voyage en Suisse en mai 1533, trois tournées en Souabe, fin 1534, hiver et printemps 1535, printemps 1536, comportant chaque fois un séjour prolongé à Augsbourg pour l’organisation, la consolidation et la pacification de l’Église protestante dans cette ville. Fin 1534 il eut à Cassel un entretien fructueux avec Mélanchthon, puis en février 1536 une rencontre importante avec les théologiens helvétiques à Bâle. Enfin en mai 1536, accompagné de Capiton et des délégués des Églises de l’Allemagne du sud-ouest, il put conclure avec Luther et les siens la Concorde de Wittemberg qui refit l’unité du protestantisme allemand, alors que les Suisses, malgré quatre voyages de Bucer à Bâle, Berne et Zurich en 1536, 1537 et 1538, refusèrent de signer cet accord. Il eut plus de succès en Hesse, fin 1538, où il réussit à ramener à l’Église la majorité des anabaptistes en faisant introduire dans les Ordonnances ecclésiastiques de Hesse la confirmation des catéchumènes et l’exercice de la discipline des mœurs par les « anciens » des paroisses.

III. 1539-1546.

À Strasbourg Bucer et ses collègues poursuivirent leurs efforts pour renforcer l’action de l’Église : en mai 1539 se tint un nouveau synode, où il fut surtout question de la discipline ecclésiastique et de l’uniformisation de la liturgie. Mais la discussion des articles synodaux en commission sénatoriale traîna jusqu’en août 1544, et dès le début de 1545 les pasteurs durent renouveler leurs demandes concernant la discipline des mœurs. Entre temps la peste avait emporté en 1541 Capiton, Bedrot © et la femme de Bucer. L’année d’après celui-ci se remaria avec la veuve de Capiton, devint chanoine de Saint-Thomas et en 1544 doyen de ce chapitre. L’année suivante il fit que Jean Sleidan © fut nommé historiographe de la Ligue de Smalcalde. En dehors de la ville, mais dans sa zone d’influence immédiate, l’élection en août 1541, du nouvel évêque de Strasbourg, Erasme de Limburg ©, esprit conciliant et favorable à l’humanisme chrétien, fit naître chez Bucer et le magistrat l’espoir d’amener le nouvel élu dans le camp des réformés ; mais malgré une conférence à Molsheim en 1542 et un échange de correspondance ils durent déchanter. Par contre ils eurent trois ans plus tard sujet de se réjouir quand B. put fournir au comte Philippe IV de Hanau-Lichtenberg © les prédicateurs nécessaires pour introduire la Réforme dans ce territoire qui était la principauté laïque la plus importante de la Basse-Alsace. Plus au loin, Bucer fut appelé de nouveau en Hesse fin 1539, pour aller à Wittemberg obtenir en cachette l’assentiment de Luther et de Mélanchthon au projet de bigamie du landgrave Philippe calqué sur le précédent biblique du roi David. Bucer s’acquitta avec succès de sa mission, mais le secret ne put être gardé bien longtemps : l’affaire livra le prince à la merci de Charles Quint et affaiblit gravement le crédit moral et politique de la Ligue de Smalcalde.

Pendant ce temps cependant l’attitude intransigeante de l’Empereur vis-à-vis des protestants faisait place à un essai de réduire pacifiquement l’antagonisme confessionnel au moyen de colloques religieux. Bucer, qui en 1534 avait déjà donné un avis dans ce sens à François Ier, y participa au premier rang comme l’un des collocuteurs protestants. Dès janvier 1539 il eut à Leipzig un entretien avec le théologien catholique réformiste Wicel, puis prit part aux colloques de Haguenau (été 1540), Worms (hiver 1540/41) et Ratisbonne (printemps 1541), faisant preuve d’une volonté de compromis à laquelle l’intransigeance des extrémistes des deux bords ne permit pas de porter ses fruits. En même temps il intervint dans les discussions en cours par des brochures, publiées en partie sous des pseudonymes : il y rendait compte des négociations, proposait des plans de réforme et traitait des problèmes en suspens, en particulier de celui des biens ecclésiastiques. Cela l’entraîna dans des controverses avec Pighius et Eck, puis avec Latomus et Gardiner. En 1540-1542 il eut aussi des contacts suivis avec les Frères Tchèques.

Lors de ces colloques l’archevêque-électeur de Cologne, Hermann von Wied, apprit à connaître Bucer et fit appel à lui en 1542 pour l’aider à réformer son archevêché. Après un premier voyage préparatoire en Rhénanie, Bucer séjourna en 1543 pendant huit mois à Bonn, y prêcha, donna des cours et rédigea avec Mélanchthon une ordonnance ecclésiastique, « Einfeltiges Bedenken », d’un protestantisme mitigé, qui lui valut pourtant la haine du magistrat, du clergé et de l’Université de Cologne, conduits par le chanoine Joh. Gropper, l’ancien confident réformiste de Hermann von Wied. Dans la polémique qui s’ensuivit avec Gropper, Billick et Engelbrecht, Bucer dut défendre sa personne et son œuvre et rédigea pour son archevêque la « Beständige Verantwortung », parue en 1545. Mais entre temps la victoire de Charles-Quint sur le duc de Clèves en été 1543 avait déjà gravement compromis les chances de succès de la réforme colonaise, de sorte qu’en 1547 Hermann de Wied dut finalement donner sa démission. De toute façon cette phase de la vie de Bucer s’était terminée par un nouveau colloque à Ratisbonne (hiver 1545/1546), auquel il assista, mais qui se solda de nouveau par un échec.

IV. 1546-1549.

Le 6.1.1546 le sénat de Strasbourg, toujours hanté par la crainte d’un « nouveau papisme » des pasteurs, repoussa leur demande présentée un an auparavant de pouvoir convoquer leurs paroissiens pour les interroger sur leurs croyances et leur conduite : il prétexta que c’était de la compétence des Kirchenpfleger, bien qu’en fait la plupart d’entre eux ne brillât pas par leur zèle en ce domaine. Devant cette carence réitérée de l’autorité civile en matière de discipline, Bucer s’ingénia à trouver une solution à l’intérieur du cadre de l’Église : profitant du choc psychologique de la Guerre de Smalcalde et de la défaite des protestants (juin 1546/printemps 1547), considérées comme un châtiment divin, il eut l’idée de grouper dans chaque paroisse les fidèles confessants en « christliche Gemeinschaft » devant agir comme un fervent dans le corps de la communauté paroissiale, et pas en dehors d’elle ou contre elle comme les sectes. Ces groupes se réunissaient régulièrement pour des séances d’édification et d’auto-discipline et périodiquement en assemblée générale de toutes les christliche Gemeinschaften. Ce projet fut mis en pratique par certains pasteurs, mais certains autres refusèrent de s’y associer, malgré les instances et mémoires de Bucer ; il se heurta surtout à la méfiance du sénat qui voyait d’un mauvais œil ces gens trop sérieux, susceptibles de provoquer une scission dans les paroisses et de créer des ennuis à la ville de la part de l’empereur en raison de leur opposition contre l’Intérim. Aussi cette expérience originale, préfigure des collegia pietatis de l’alsacien Spener © au siècle suivant, fut-elle victime de cette double hostilité à peine deux ans après le départ de son initiateur pour l’exil.

Dans l’Empire la victoire de Charles-Quint sur la Ligue de Smalcalde (avril 1547) permit à l’empereur de publier un règlement religieux provisoire pour toute l’Allemagne en attendant les décisions finales du concile de Trente, d’où son nom d’Intérim. Pour lui donner la caution d’un théologien protestant aussi connu que Bucer, celui-ci fut convoqué à Augsbourg où se tenait la diète de 1548 et se rédigeait le texte définitif de l’lntérim. Après trois semaines de discussions, puis d’arrêts de rigueur B. s’en tira par un oui-mais et put rentrer à Strasbourg. Ce fut pour y réaffirmer dans le « Summarischer Vergriff » les positions défendues depuis 1523 et y mener la lutte contre l’lnterim devenu entre temps une arme contre le protestantisme. Cependant devant la supériorité militaire de l’empereur, attestée par la chute de Constance, Strasbourg dut entamer des négociations avec l’évêque et donner congé à Bucer. Le 6.4.1549 celui-ci partit avec son collègue, l’hébraïsant Paul Fagius ©, pour l’Angleterre.

D. Exil et activité en Angleterre (1549-1551).

Ce royaume, où ils débarquèrent le 23.4.1549, était alors en pleine mutation économique, sociale et religieuse et s’orientait nettement vers le camp protestant depuis la mort de Henri VIII en janvier 1547. Mais de ce point de vue beaucoup restait à faire, et Bucer pouvait espérer d’y être de quelque utilité pour aider à consolider et à développer la nouvelle Église protestante anglaise. Aussi avait-il donné suite à l’appel que lui avait adressé en 1548 le primat d’Angleterre, l’archevêque de Canterbury Thomas Cranmer. Les deux réfugiés strasbourgeois passèrent leurs premiers mois dans l’entourage de celui-ci et commencèrent à faire une nouvelle traduction latine de la Bible. Puis ils s’installèrent à Cambridge, où ils furent nommés professeurs ; mais dès le 13.11.1549 Fagius y mourut. Bucer, que son épouse venait de rejoindre, fit un nouveau cours sur l’épître aux Ephésiens, eut une longue dispute sur la justification avec des professeurs restés catholiques, et correspondit sur la cène avec Pierre Martyr Vermigli © qui avait été son collègue à Strasbourg de 1542 à 1547 et auquel il rendit visite à Oxford en été 1550. Comme prévu, on le consulta pour l’organisation de l’Église anglaise : le traité qu’il rédigea sur l’ordination fut utilisé pour l’Ordinal officiel de 1550 ; certains de ses desiderata concernant le Common prayer book de mars 1549, qui s’inspirait déjà largement de la réforme de Cologne, furent pris en considération dans la refonte de 1551 ; de même dut-il donner son avis, quand l’évêque protestant radical John Hooper souleva la question des vêtements liturgiques, qu’