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BÜCHNER Karl Georg

Médecin, révolutionnaire et auteur dramatique. (Pl) (★ Goddelau, près de Darmstadt, 17.10.1813 † Zurich 19.12.1837).

Fils d’un médecin de campagne. Trois frères laissèrent des traces dans la littérature et la pensée allemandes. Après de brillantes études secondaires à Darmstadt, Georg Büchner s’inscrivit le 9.11.1831 à la faculté de Médecine de Strasbourg, où il vint habiter, rue Saint-Guillaume, chez le pasteur Jean-Jacques Jaeglé († 1837), auteur de poésies lyriques et politiques en l’honneur de Napoléon et de son épouse Marie-Louise. Le jeune étudiant s’éprit de la fille du pasteur, Wilhelmina, surnommée Minna et se fiança avec elle aux alentours de Pâques 1833. Très tôt apparut, à travers la correspondance adressée à ses parents, une de ses convictions durables : c’est par la violence que des changements politiques peuvent être obtenus. Dans la première lettre envoyée de Strasbourg à sa famille, il décrivit une manifestation des étudiants de Strasbourg pour acclamer l’insurrection polonaise de 1831 ; dans une des dernières lettres, rédigée au cours de son premier séjour à Strasbourg, il proclama fièrement : « Si quelque chose aujourd’hui peut nous servir, c’est la violence » (5.4.1833). À l’automne 1833, il retourna en Allemagne et poursuivit des études de biologie, médecine et philosophie à Giessen, tout en participant activement aux mouvements révolutionnaires hessois. Non content d’agiter le drapeau des libertés constitutionnelles dans les salles de rédaction, il appela les masses à entrer par la violence dans l’histoire, au nom de leurs intérêts matériels. Ses compagnons de lutte furent emprisonnés et il ne dut qu’à une fuite précipitée de Hesse à Strasbourg (1.-9.3.1835) de ne pas partager leur sort. Il eut cependant le temps de fonder au cours de l’été 1834 une Société des droits de l’homme à Giessen et de commencer la rédaction d’une feuille politique volante, Le Messager de Hesse (Der hessische Landbote), en collaboration avec le pasteur F. L. Weidig. Ce farouche brûlot – à la fois satire au vitriol du gouvernement hessois et virulent pamphlet contre les riches – suffirait à assurer à son auteur une place originale au sein de sa génération. « Paix aux chaumières, guerre aux palais ! » (Friede den Hütten, Krieg den Palästen) : tel était le cri de guerre lancé par le jeune révolutionnaire, pour qui « le conflit entre riches et pauvres est le seul conflit révolutionnaire au monde ». Au cours de l’hiver 1834-35, il composa, en cinq semaines, dans un état d’exaltation passionnée et avec la crainte constante d’être arrêté, son premier drame, La Mort de Danton (Dantons Tod), dans lequel il décrivit l’individu écrasé par l’horrible fatalisme de l’histoire. À peine eut-il envoyé son manuscrit au poète Gutzkow, qu’il reçut un avis à comparaître devant le juge d’instruction de Darmstadt. Pressentant une arrestation imminente, il quitta alors précipitamment Darmstadt le 1.3.1835, passa la frontière sans papiers et arriva à Strasbourg le 9 mars. Il ne devait plus revenir en Allemagne. De mars 1835 à octobre 1836, le jeune révolutionnaire mena à Strasbourg une existence particulièrement féconde : il traduisit deux drames de Victor Hugo et des œuvres d’Alfred de Musset, rédigea un essai sur la philosophie allemande depuis l’époque de Descartes et de Spinoza, écrivit sa comédie Léonce et Léna, commença la rédaction de deux drames : Woyzeck et Pietro Aretino restés inachevés, composa sa seule nouvelle, Lenz (restée elle aussi à l’état fragmentaire) et… rédigea un mémoire pour l’obtention du titre de docteur ès sciences. Toutes ces œuvres parurent après la mort de l’auteur, sauf son premier drame, La Mort de Danton, publié en juillet 1836 grâce à Gutzkow ; malheureusement, elle ne fut pas comprise par le public allemand qui y vit « du Thiers ou du Mignet découpés en scènes ». La nouvelle Lenz fut inspirée par l’existence tragique du poète et dramaturge d’origine balte, Jakob Michael Reinhold Lenz (★ 1751 † 1792) ©, une des figures les plus caractéristiques du Sturm und Drang. Il remania un manuscrit de J. F. Oberlin © et l’enrichit grâce à toutes sortes de renseignements glanés notamment chez Ehrenfried Stœber ©. Büchner écrit alors à Karl Gutzkow : « Je me suis procuré ici toutes sortes de notes intéressantes sur un ami de Goethe, un poète malheureux du nom de Lenz qui séjourna ici en même temps que Goethe et qui devint fou. Je pense en faire un essai pour la revue allemande » (1835). Cette revue (Deutsche Revue) ayant été interdite, l’« essai » ne parut dans une autre qu’après la mort de Büchner, en 1839, grâce à K. Gutzkow, sous le titre de Lenz. C’est le récit du « lent engloutissement du poète dans un abîme d’irréalité, de tourments, de douleur, tandis qu’il essayait de s’accrocher aux derniers restes de raison et de lutter contre une inexorable désagrégation de l’esprit ». Ces travaux littéraires harassants et extraordinairement féconds n’empêchèrent pas Büchner de rédiger au cours de la même période strasbourgeoise un Mémoire sur le système nerveux du barbeau, qui lui valut le titre de docteur ès sciences et une maîtrise de conférence en anatomie comparée à l’Université de Zurich (oct. 1836). Ne se sentant plus en parfaite sécurité à Strasbourg, il s’empressa d’accepter l’offre de s’établir dans cette ville, dans l’espoir d’y enseigner les sciences et y donna avec succès un premier cours ; mais presqu’aussitôt, il tomba malade, saisi par une sorte d’épuisement. Il mourut probablement de typhoïde, à l’âge de 24 ans. La Mort de Danton, Woyzek (drame auquel les dramaturges modernes accordent une particulière attention), mais aussi Léonce et Léna et surtout la nouvelle Lenz, vaudront à leur auteur demeuré quasi inconnu de son vivant une incomparable gloire posthume. De Frank Wedekind à Berthold Brecht, tous les dramaturges du XXe s. lui sont plus ou moins redevables.

H. Kurz, Die deutsche Literatur im Elsass, Berlin, 1874, 2e éd., Gesammelte Schriften von G. Büchner, Berlin, 1905, I, p. 28 et ss. ; J. Lefftz, « Georg Büchner der Strassburger Student », Elsassland, 1939, XIX, p. 101 et ss. ; M.-J. Bopp, Die evangelischen Geistlichen in Elsass-Lothringen, 1959, 1959, p. 269, cf. art. « Jaegle Johann Jakob » ; M.-J. Bopp, « La littérature alsacienne de 1800 à 1870 », Lettres en Alsace, 1962, p. 282 ; Deutsches Literaturlexikon, II, 1969, col. 255-264.

Bibliographie sélective :

Encyclopedia universalis, Paris, 1970, t. 3, p. 662-663 ; Neue Deutsche Biographie, II, p. 720-722 ; Biographishes Staatshandbuch, 1959-60, 1, p. 178 ; H. Anton, Büchners Dramen : Topographien der Freiheit, 1975 ; G. Baumann, Georg Büchner : die dramatische Ausdruckswelt, Göttingen, 1976 ; H. Anz, « Leiden Sey all mein Gewinnst : zur Aufnahme und Kritik Christlicher Leidenstheologie bei Georg Büchner », Georg-Büchner-Jahrbuch, 1, 1981, p. 160-168 ; A. Behrmann, Büchner : Dantons Tod : eine Dramenanalyse, Stuttgart, 1980.

Jean Hurstel (1984)